Chapitre 5 - Oyessa

1.6K 100 3
                                    

La tige de blé se balançait au gré de la bise nocturne. La lune, pleine, éclairait ses épis de sa lumière lactée. Salomé avançait, à travers le champ, les yeux rivés sur l'horizon. Il n'y avait rien d'autre autour d'elle. Juste son corps, et les céréales. Plus elle gagnait du terrain, plus le chemin devenait difficile. Des racines s'agrippèrent à ses chevilles, l'empêchant de continuer, la tirant vers la terre. Le sol la ramenait vers lui.

C'était alors qu'elle la vit. La cape rouge. Elle claquait dans le vent à quelques mètres devant elle. Salomé voulut l'appeler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Les tiges végétales l'entouraient maintenant par la taille, la clouant au terreau humide du champ. L'étoffe décolla en se gonflant d'air et resta suspendue dans le ciel noir avant de disparaître entre les épis de blé qui avalèrent la jeune femme.

Salomé se réveilla en sursaut, le souffle court. A mesure que l'étau du cauchemar qu'elle venait de faire se desserrait. Petit à petit, elle réalisa qu'elle ne trouvait pas ses repères habituels. Au-dessus d'elle, une immense verrière laissait apparaître une voie lactée nacrée ondulant dans un firmament bleu nuit. Un peu plus loin sur la droite, trois énormes lunes en croissant éclairait la pièce où elle se trouvait de la même lumière que dans son rêve. Des voiles légers flottaient de part et d'autre du lit sur lequel elle était allongée. Tour à fait au droite, la pièce ne possédait pas de mur. Un ciel nocturne à perte de vue s'offrait à elle.

L'air était frais. Les vapeurs du sommeil se dissipèrent et la mémoire lui revint.

Les muscles de la jeune femme se crispèrent et elle voulut se mettre debout à toute vitesse, mais des étoiles apparurent devant ses yeux et ses jambes flanchèrent.

« Doucement »

Un homme venait de faire irruption. Il portait une large blouse blanche au col bas, sur un pantalon couleur grès. Il s'avança vers elle le visage grave.

« Vous devez vous ménager. Vous n'êtes pas habituée à cette atmosphère ni à cet air ». Des cheveux blonds lui tombaient légèrement sur le visage et sa peau était hâlée. Sa démarche aérienne. Il lui indiqua le lit de la tête.

« Où est-ce que je suis ? demanda-t-elle en obéissant, pensant rêver. Cet endroit est étrange... ».

« Vous êtes sur Oyessa », répondit-il simplement. Son regard mordoré l'examinait, curieusement.

« Et vous... Vous êtes qui ? ».

« Je suis un thaumaturge. Je soigne. Il s'assit à son tour au bord du lit. Vous êtes arrivée il y a deux jours. Je ne pensais pas que votre réveil aurait été si rapide ». On aurait dit que sa chevelure était composée de fils d'or. Elle scintillait, près d'elle, sous les étoiles.

« Deux jours » murmura-t-elle comme pour elle-même. Petit à petit, elle commençait à se dire que le rêve n'était peut-être pas si factice que cela. Elle revit Melchior et son arme à la lueur verte. Cette femme, en tenue de guerrière et cet homme, qu'elle avait sauvé. Sa cape rouge.

« Qu'est-ce que je fais là ? », dit-elle soudain, inquiète. Qu'était-il arrivé aux hommes masqués ? A sa maison ? A la terre ?

L'homme se leva lentement et esquissa un sourire.

« Ils vous attendent », répondit-il. Et il sortit.

Salomé se retrouva seule, dans cet endroit inconnu. Pour la seconde fois, elle se leva, et les étoiles lui parurent moins intenses. Elle respira un long moment et observa une nouvelle fois ce ciel extraordinaire. Jamais elle n'avait vu un firmament si beau. Des vêtements étaient posés sur une table basse en roches beiges et brunes agglomérées. On lui avait ôté ses habits pour lui mettre une longue robe de nuit sablée.

La jeune femme remarqua que ses gestes étaient moins précis, plus lents, qu'ils lui demandaient plus d'efforts, alors qu'elle enfilait le pantalon en toile noire ajusté, la chemise ample en lin écrue et le corset en cuir marron qu'on lui avait attribué.

Salomé chaussa les bottes en cuir près de son lit, et emboita le pas du thaumaturge. Elle tomba sur un long couloir aux dimensions colossales qu'elle emprunta. Elle passa devant plusieurs portes, et arriva bientôt à l'embouchure du corridor. Une pièce gigantesque, ouverte du plafond aux murs sur le ciel endormi s'offrit à elle. Le toit était en réalité un dôme de verre qui protégeait du vent et au fond, de nombreux voilages similaires à ceux de la chambre virevoltaient au gré des bourrasques. Salomé s'avança et distingua un balcon derrière les voiles blancs. Des silhouettes s'y dessinèrent.

Le souffle court, la jeune femme continua d'avancer, mais elle se sentit de plus en plus étourdie. Elle posa une main sur la grande table en roche qui trônait à côté d'elle au milieu de la pièce. Il n'y avait pas de lumière. Tout était éteint. Des bribes de voix parvinrent à ses oreilles. Elle reprit son chemin vers la balustrade éclairée par les trois lunes. C'était comme si elle avançait dans un songe, guidées par ses propres pas, sans avoir conscience de ses gestes. Rien de tout ce qui l'entourait n'était normal. Tout était différent. C'était comme si elle s'était réveillée sur une autre planète. Mais ça, elle ne pouvait l'assimiler.

Les silhouettes sombres étaient attablées sous la voie lactée. Elle reconnu le tissus sombre dans la nuit de Kal-El. Il était accompagné du thaumaturge, de la femme et d'une quatrième personne, un autre homme. Le blond se tue et intima quelque chose au groupe. Tous se retournèrent vers Salomé.

Kal-El déploya son imposante carrure en se levant et fit quelques pas vers elle. Elle vit le coin de sa bouche s'étirer.

« Bienvenu », dit-il. Ses yeux avaient la même couleur que le ciel. Bleu sombre.

Elle le rejoignit dehors. Malgré la nuit, les étoiles brillaient suffisamment pour éclairer le monde à leur pied. Les yeux de Salomé s'écarquillèrent. Elle s'avança lentement vers la balustrade et jeta un rapide coup d'œil avant de reculer. A ses pieds s'étendaient une ville entière faite de bâtisses blanches et gondolées à la taille de géants. Dômes, verres et nature semblaient les maîtres du lieu. La jeune femme devait se trouver à plusieurs centaines de mètres de hauteur, mais les bâtiments que peuplaient cette ville n'avaient rien à voir avec les immeubles de sa terre. Au sol, une rivière de grands arbres les séparait. Une mer ployait ses bras sombres, tout à fait à l'Est. L'Ouest était occupé par la ville. L'horizon était dégagé, et n'était que lacs et forêts. Des vaisseaux attiraient le regard de la jeune femme, par intermittences. Elle les voyait se poser sur les toits des bâtisses. Un paysage lunaire s'allongeait sous ses yeux ébahis.

Puis, Salomé se retourna. La femme n'avait pas bougé. Elle était assise, et feuilletait un livre avec l'homme qu'elle ne connaissait pas. Le thaumaturge la regardait, bienveillant.

Kal-El l'observait.

« Tu dois avoir quelques questions », déclara-t-il, comme pour briser la glace.

Si jamais vous aimez cette histoire,  n'hésitez pas à mettre une petite étoile ou à commenter, pour que je sache si ça vaut la peine de la continuer :)
Belle journée!

Un avenir incertainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant