Chapitre 27 - l'exil choisi

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Huit mois plus tard

Une fine pluie tombait sur les toits de la ville de Dublin. Les murs de brique rouge et gris du centre ville luisaient sous la faible lueur des réverbères. Il n'était pas tard, mais la nuit hivernale était déjà tombée sur la capitale irlandaise. La statue de Molly Malone voyait quelques badauds presser le pas devant elle pour atteindre un pub où entrer se réchauffer. Salomé en faisait parti. Cela faisait maintenant un mois qu'elle avait élu domicile ici, dans la belle Dublin. Elle s'était exilée pour se concentrer sur le livre qu'elle avait décidé d'écrire; et continuait occasionnellement les piges pour quelques journaux parisiens.
Elle appréciait particulièrement l'atmosphère qui régnait ici. Ce temps de Bretagne, ses légendes celtiques et sa musique qui réchauffait les cœurs. Les Irlandais l'avaient intégrés dès le premier jour comme une des leurs. Le pays ne lui était pas totalement inconnu puisqu'elle avait passé son année d'erasmus dans la ville de Cork, dans le Sud Ouest de l'île. Elle avait le sentiment d'être rentrée à la maison. Une maison chaleureuse, douillette et propice à la rêverie. Tous les jours, elle se lovait dans sa méridienne moelleuse près de la fenêtre et écrivait tout en regardant les gouttes de pluie tomber sur la ville, une tasse de café late saveur citrouille à la main.
Ce jour là, Salomé avait rendez-vous avec un ami rencontré pendant son année d'études ici. Elle poussa la porte du Donoghués et une odeur de bois et de bière lui réchauffa les poumons. John se trouvait dans la pièce du fond' près des vitraux sombres et de la cheminée dans laquelle un feu flamboyait. L'éclairage tamisé provenait de vielles bouteilles de vin qui supportaient des cierges dégoulinant de cire.

« Salut! », l'accueillit-il dans un fort accent anglais.
Ils avaient pris l'habitude de parler français pour que John améliore ses bases. Ses yeux verts aux paupières lourdes et ses cheveux bruns, hirsutes, renvoyaient une image réconfortante. Passer du temps avec lui l'empêchait de ressasser l'incroyable aventure qu'elle avait vécu huit mois auparavant. Venir vivre ici l'avait profondément aider à arrêter de ressasser le passé, et à se résigner. Il ne reviendrait pas. Les sept premiers mois avaient eu un goût amer. Aujourd'hui, elle respirait à nouveau, une grande bouffée d'air iodée. Du moins, elle essayait, malgré les multiples rappels quotidien des médias qu'il existait bien d'autres formes de vies ailleurs que sur la Terre. Le grand secret avait flanché. Huit mois après, le scoop en était toujours à l'état de scoop.

« Mes parents me prêtent leur maison de vacances près de Galway pour les vacances de février, est-ce que ça te dirait? » lui demanda John. Le feu crépitant dans l'âtre faisait danser l'ombre de ses cheveux sur son visage.

« Avec plaisir! », s'exclama-t-elle.

Ses yeux lui sourirent en entendant la réponse qu'il espérait obtenir, et il porta la pinte de Guiness à ses lèvres. Géologue depuis quelques années, l'irlandais passait ses heures perdues entre Salomé, ses amis, et son rôle de batteur dans un groupe local. Il avait perdu son frère jumeau quelques temps après que Salomé soit repartie en France et avait vécu une période difficile. Le terrain et ses expéditions à travers le monde pour étudier les roches l'avaient aider à s'en sortir et à faire le deuil.

Ils discutèrent une bonne heure et Salomé rentra chez elle pour se plonger dans ses écrits. Le café fumait près d'elle et une douce odeur de cannelle s'en émanait. Elle inspira profondément. Quelque chose lui trottait dans la tête depuis qu'elle était sortie, mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Une impression étrange. Puis, elle se souvint. En sortant de chez elle, elle était tombée nez à nez avec une grande affiche d'un vaisseaux spacial. Elle qui fuyait les réseaux sociaux et chaînes télévisées pour éviter d'avoir à se confronter au sujet, il était venu à elle, servit sur un plateau, juste en bas de l'endroit où elle vivait.
Salomé soupira. Elle ne voulait plus espérer. Elle s'était faite à l'idée, et sa vie avançait' sur Terre. Son téléphone sonna. C'était John. Intriguée, elle décrocha.

« Tu ne devineras jamais la mission qu'on m'a proposée », dit-il dans une joie non dissimulée.

« Dis-moi »

« On m'envoie en France pour étudier les roches vertes qui ont été l'objet du contentieux avec les extra-terrestres! Bon' c'est top secret, je ne dois en parler à personne, mais c'est un gros coup puisqu'il paraîtrait que ces roches ne sont pas terrestres, tu te rends compte? »

Le ventre de Salomé se contracta douloureusement. John ne savait rien de son implication dans l'événement qui avait secoué le monde. Leur monde. Elle resta silencieuse. Pourquoi lançaient-ils une mission pour étudier la kryptonite? Sûrement parce qu'ils voulaient en apprendre plus sur ce qui les entourait..

« Allô? »

« Pardon, oui, c'est une super nouvelle! C'est pour quand? »

« Juste après les vacances de février, donc le plan a Galway tient toujours... si tu es toujours intéressée ».

« Bien sûr »

Salomé raccrocha la boule au ventre. D'abord parce qu'on lui rappelait sans cesse qu'il était parti, puis parce que John lui même allait s'en aller. Elle allait se retrouver seule, une fois de plus.
Elle se cala contre la fenêtre qu'elle ouvrit et alluma une cigarette. Le parfum du goudron mouillé la berça légèrement alors que la nuit tombait. Perdue dans ses pensées une bonne partie de l'après midi elle n'avait pas écrit un mot. Elle repoussa ses longs cheveux bruns sur son épaule et scruta le ciel qui s'assombrissait. Les lumières de Dublin l'empêchaient de distinguer les étoiles et c'est aussi pour cela qu'elle avait choisi la ville.

Une musique étouffée provenant du pub dans sa rue lui parvenait, se mêlant au clapotis de l'eau sur le toit juste au dessus d'elle. Elle était au 4ème étage. Une vague mélodie de violon irlandaise. Salomé ferma les yeux. Avait-il réussit à rendre son peuple heureux? Elle se donna une petite tape sur la joue. « Arrêtes d'y penser » se répéta-t-elle.
Elle écrasa sa cigarette et alla se chercher un verre d'eau. Un grattement sourd se fit entendre derrière elle. Elle se retourna en direction du bruit et lâcha son verre qui s'écrasa sur le sol. La fenêtre s'ouvrît un peu plus et une grande masse athlétique s'engouffra dans le salon. Des gouttes de pluie perlait sur ses cheveux de jais, ses longs cils et son menton carré. Des boucles serpentaient, collées sur son front blanc. Le cœur de Salomé manqua plusieurs battements et aucun son ne pu sortir de sa bouche. Elle était tétanisée. La haute silhouette s'avança légèrement, puis, s'arrêta dans le pénombre de la pièce éclairée simplement par une guirlande de petites lumières. Derrière lui, le ciel, gris, s'assombrissait.
La bouche entre ouverte et les yeux écarquillés, Salomé aurait voulu crier quelque chose, mais elle en était incapable.

« Salomé », prononça simplement la voix de contrebasse.

Un avenir incertainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant