Chapitre 39 ⋅ Le poids des mots

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Ils n'avaient pas dormi ensemble.

Ils n'avaient pas pu.

Dès leur arrivée au domicile de son père, Fusae avait constaté avec stupéfaction que la chambre d'amis avait été préparée pour l'« ami proche » qu'elle avait annoncé avant de venir, et c'est sur un sourire penaud qu'ils s'étaient séparés avec Tooru. Elle qui avait au moins misé sur cette nuit-là pour être seule à seul avec son voisin, loin des oreilles indiscrètes de proches ou d'inconnus pour écouter leur discussion, elle en était tombée des nues. Trop poli et désireux de plaire, le volleyeur n'avait pas contesté la décision de ses hôtes, mais elle non plus n'avait pas été fichue de le faire. Le regard inquisiteur de son paternel l'en avait dissuadée, l'avait sans un mot consignée à sa chambre où elle se s'était réfugiée dans ses draps aussi sec, frustrée, désillusionnée.

La contrariété ne la quitta pas de la nuit, même avec le message de bonne nuit que son supposé petit-ami lui envoya, accompagné d'un GIF de chat qui danse qui ne la fit même pas sourire – là où cela aurait dû. Elle s'en voulait terriblement de ne pas être capable d'affronter son père, non seulement pour Tooru, mais aussi ne serait-ce que pour elle-même. Ça la rongea jusqu'aux plus sombres heures de la nuit, lui rappela encore et encore qu'elle était médiocre, loin de toutes ces filles qui prenaient leur vie en main, enfermée dans sa timidité et ses complexes dont elle ne pensait pas réussir à se défaire un jour. Elle en pleura presque dans ses draps blancs, avant d'être emportée par le sommeil entre deux angoisses pour une nuit sans rêve aussi terne que sa personnalité, et pour un réveil rude aux saveurs de larmes.

Il fallut un certain temps à Fusae pour se réveiller complètement. C'est seulement sur le trajet vers Tokyo, entre les babillages aigus de son demi-frère Haru et les explications incessantes de sa belle-mère auxquelles elle ne comprenait rien, que la demoiselle parvint enfin à s'arracher aux bras de Morphée. À vrai dire, c'est plutôt la chaleur d'un autre bras qui se faufilait derrière sa taille qui la ramena à la réalité, dans une douceur plus que grisante.

— Ça va, Sae-chan ? chuchota Tooru contre son oreille, une pointe d'amusement dans ses mots. T'as l'air d'avoir passé la nuit à dessiner plutôt que dormir. Rassure-moi, t'as pas trouvé un autre modèle ?

— Hum, non non, c'est juste que... fit-elle avant d'être interrompue par un bâillement qu'elle cacha difficilement derrière son poignet, et qui fit sourire le volleyeur. J'ai eu un peu de mal à m'endormir.

— Tu pensais à moi, c'est ça ? Avoue, tu rêvais de moi ~

Un petit rire lui chatouilla les lèvres, et elle secoua la tête. Ce n'était pas totalement faux, mais ce n'était pas totalement vrai non plus. Elle avait surtout cogité une bonne partie de la nuit, piégée dans la spirale infernale de la dépréciation et des remises en question. La pression de sa main sur sa taille se renforça imperceptiblement, lui arrachant un frisson teinté de rougeurs, et elle leva la tête pour se heurter à son regard mordoré.

— T'es sûre ? T'as vraiment l'air au bout de ta vie.

Ses sourcils se froncèrent nerveusement à la mention de son état, qui invoquaient les noirs souvenirs de sa nuit, mais le pli disparut quand il lui administra une pichenette sur la joue, si douce qu'elle releva davantage de la caresse. De nouveau, l'acier percuta l'airain. Et sa dernière phrase lui arracha un sourire dans l'écho d'une phrase du passé.

— Si par hasard tu as pris avec toi tes anti-douleurs pour ton genou, ça serait pas de refus, répondit-elle dans un sourire complice.

— Je les ai toujours avec moi quand je vais quelque part, sinon ma mère me démonte la tête. Donc t'en fais pas petite voisine, j'te couvre ~

La Fenêtre d'en face |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant