Chapitre 8 · Au pied du mur

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Voilà quelques instants déjà que le monde de Fusae venait de s'effondrer à jamais. Oikawa Tooru était là, debout au milieu de sa chambre, à en fouiller les moindres recoins de son regard mordoré. Un léger sourire au coin des lèvres, le volleyeur lui avait accordé un bref coup d'œil ainsi qu'un « bonsoir, petite stalkeuse ~ » avant de s'enfermer dans un mutisme étouffant. Et au creux de sa paume droite, un petit carnet pas plus grand qu'un livre de poche, à l'éclatante couverture vermillon, était ouvert sur un des nombreux portraits que l'adolescente avait esquissés. Une vue horrifiante pour cette dernière, en somme.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Elle avait lâché ces quelques mots dans un souffle, tout en refermant la porte derrière elle pour empêcher la conversation de sortir de la pièce. Sa main était tremblante sur la poignée, tant elle redoutait ce qui allait être dit d'ici quelques minutes.

— Je pense que tu as déjà la réponse à ta question, petite voisine.

Fusae pivota vers son invité surprise, qui contemplait avec une fascination non dissimulée quelques uns de ses dessins accrochés au mur. Les modèles variaient : sa mère, sa sœur ou sa meilleure amie... et même quelques copains du lycée. Bien que le modèle fût différent, il n'était pas difficile de repérer dans chacun d'entre eux son coup de crayon personnel, la même patte qui imprégnait le moindre portrait dans le carnet vermillon. Les yeux bruns d'Oikawa glissèrent de nouveau vers elle.

— T'es allé voir ma voisine de palier, c'est ça ?

— C'est ce que j'ai voulu faire, répondit-il dans un petit sourire innocent. Mais quand j'ai été voir le concierge, il m'a dit que c'était impossible puisque cette dame a été placée dans une maison de retraite il y a trois semaines.

— Ah ?

Cacahuète. Ça, la lycéenne ne l'avait pas vu venir. L'espace d'un instant, elle se demanda si avoir été au courant pour le départ inopiné de sa voisine de palier aurait pu changer la donne, lui éviter ce genre de problème. Cependant, elle avait suffisamment enchaîné les catastrophes pour savoir que ça n'aurait pas effacé quatre mois de dessins d'une personne à son insu.

— Et... j'ai croisé ta mère dans le vestibule, révéla-t-il alors. Elle était au téléphone, donc j'allais juste passer ma route sans faire attention, quand elle a mentionné Geidai.

L'adolescente se ratatina sur place à ces mots. Mieux connue sous le nom de Geidai, l'Université des Arts de Tokyo était le rêve de Fusae depuis le collège. Bien que la jeune fille n'ait que très peu de chances de passer le concours d'entrée tant la barre était haute, sa mère se démenait chaque jour avec les collectivités locales pour trouver des bourses et autres aides afin de lui permettre de payer les frais de scolarité. Aussi, à l'idée que son rêve le plus cher soit également la clé pour la petite enquête d'Oikawa, l'artiste sentit son cœur s'écailler.

— À partir de là, je te cache pas que c'était assez facile de faire le lien, sourit le volleyeur en face d'elle, avant de brandir son carnet orange. Surtout vu la qualité de ces dessins ~

La noiraude ne répondit pas, tandis qu'il reculait pour s'appuyer contre la commode non loin de lui. Il se mit à feuilleter le carnet d'un air impassible, faisant défiler les portraits de lui pour les effleurer de ce regard qu'elle avait tant de fois reproduit. Et même dans ces circonstances, après tout ce qu'il s'était passé depuis la semaine dernière, elle trouvait le moyen d'imaginer ce que cette pose donnerait sur le papier à grain. Le garçon se chargea de la ramener à la réalité.

— Je pensais pas que la fille qui m'a dégobillé dessus serait aussi celle qui m'a dessiné une trentaine de fois sans que je le sache.

Ses yeux quittèrent les pages pour coulisser vers elle, pétillants d'une malice à toute épreuve. Fusae retint son souffle. Même avec toute la volonté du monde, cette lueur-là, elle n'aurait jamais été capable de la retranscrire avec un crayon. Non, cette émotion était tout ce qu'il y avait de plus authentique. Comme la phrase qu'il lâcha comme une bombe juste après.

La Fenêtre d'en face |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant