Chapitre 11 · Volte-face

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Le papier dansait dans la brise. Fusae avait beau le tenir fermement entre ses doigts, il ondulait sous les tièdes caresses du vent. Il lui semblait même que dans cette valse folle, le portrait gribouillé dessus prenait vie, que les cheveux sombres s'ébouriffaient légèrement, que le regard s'éclairait, que les joues se creusaient dans un sourire narquois. Le même sourire qu'Oikawa Tooru lui avait accordé la veille.

La discussion qu'ils avaient eue, aussi bancale et embarrassante fût-elle, lui avait d'une certaine manière tiré une épine du pied. Comme des engrenages qu'on remettait en route, sa passion était revenue peu à peu monopoliser ses pensées et tout ce qu'elle s'était interdit d'imaginer avait refait surface. Ainsi, pendant le cours de japonais, ses doigts s'étaient mus d'eux-mêmes. Dans la marge, entre deux phrases de son cours sur la littérature médiévale qu'elle avait écouté d'une oreille distraite, et en ne se basant que sur des souvenirs flous de leurs courtes rencontres, elle l'avait dessiné. Encore. Certes, l'esquisse était loin d'être parfaite. Les proportions étaient inexactes, et il avait un œil légèrement plus gros que l'autre, mais qu'importe. Fusae était plus que jamais satisfaite : elle dessinait à nouveau sa muse.

— Il t'a donné rendez-vous ? s'était exclamée Yuna, aussi discrète qu'un vendeur de poisson sur un marché, lorsqu'elle lui avait raconté les détails de leur rencontre.

— Oui, enfin « rendez-vous », c'est un grand mot. Je vais juste récupérer mon carnet.

— Il t'a dit de le rejoindre à tel endroit à telle heure, si c'est pas la définition d'un rendez-vous, je suis Obi-Wan Kenobi.

Si elle avait roulé des yeux à la remarque de sa meilleure amie, la lycéenne n'avait pas pu retenir un sourire nerveux en lui annonçant la nouvelle, trop heureuse d'être parvenue à réclamer son dû. Son cahier lui reviendrait sous peu et son chemin se séparerait à jamais de celui d'Oikawa.

C'est donc en se raccrochant à cette pensée que Fusae s'efforçait de garder patience ce soir-là. Assise sur le petit perron de son immeuble, les coudes sur les genoux et le visage dans les paumes, elle attendait. Cela faisait un certain temps qu'elle rongeait son frein ; un peu plus d'une demi-heure, un peu moins d'une heure, mais trop longtemps pour que ses jambes ne picotent pas un peu. Si certes elle était arrivée avec de l'avance, trop enthousiaste à l'idée de récupérer son carnet, lui était sans aucun doute en retard. Peut-être que son entraînement de volley avait traîné en longueur, ou bien un incident dans les transports l'avait retardé... Toujours était-il que le soleil avait presque fondu à l'horizon et pas une trace d'Oikawa Tooru.

Non sans un soupir de dépit, l'adolescente étendit les jambes pour se changer les idées. Elle ne pouvait même pas dire de lui envoyer un message pour savoir ce qu'il en était, puisqu'elle n'avait pas son numéro de téléphone – et de toute façon, elle n'aurait sans doute jamais osé faire le premier pas vers lui. C'était à croire que le destin avait décidé de lui arracher son carnet à dessins pour la narguer de toutes les manières possibles, tel un supplice de Tantale revisité. La poisse.

Pourtant, ce fut au moment où elle commençait à bêtement compter les rangées de briques qui composaient l'immeuble d'Oikawa, que ce dernier daigna montrer son joli minois. Fusae l'entendit avant de l'apercevoir – ou plutôt, elle entendit la voix chantante et résolument minaude de son accompagnatrice.

— Allons, Tooru-kun, tu peux bien te libérer pour une fois ! Tu m'as promis que tu viendrais, la fois dernière.

Détachant le regard du mur qu'elle contemplait depuis un bon bout de temps, Fusae tourna la tête vers les deux silhouettes qui se dessinaient au bout de la rue. De par sa taille, son aura rayonnante, son visage aux milles coups de pinceaux, son voisin attirait les regards. Et pourtant ce qui happa celui de l'adolescente fut bien celle qui se tenait à ses côtés. Une jolie fille aux cheveux châtains, tressés à la manière de ceux des poupées de porcelaine traditionnelles. Car elle en avait tout l'air, avec son teint laiteux, ses lèvres roses et ses grands yeux sombres.

La Fenêtre d'en face |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant