Chapitre 18 · À bas les masques

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Des cinq sens dont l'être humain disposait, celui que préférait Fusae était la vue. Logique, pour une artiste. Si, dans l'immédiat, on lui demandait de choisir lequel elle devrait garder en échange des quatre autres, ce serait sans aucun doute pour celui-là que son cœur pencherait. D'un, car elle mentirait en disant que l'air chargé de transpiration du gymnase ne la dérangeait guère, ou que ses oreilles ne sifflaient pas un peu sous les cris des filles assises juste derrière elle – et la noiraude se demanda sincèrement où elles trouvaient toute cette énergie – ou encore que les bancs des gradins étaient rugueux sous ses doigts. De deux, surtout, parce que sans ses iris qui scannaient les lieux, elle n'aurait sans doute jamais pu voir le service d'Oikawa Tooru.

L'artiste savait son voisin magnifique. Elle ne comptait plus les secondes, les minutes ou encore les heures qu'elle avait passées à l'admirer de loin, et à tenter de reproduire encore et encore ses traits délicats, ses sourires d'ange ou le mouvement de ses cheveux. Toutefois, elle ne l'avait jamais trouvé aussi beau que sur un terrain de volleyball. Là, certes, ses traits étaient plissés par la concentration, ses sourires devenaient plus mesquins et ses cheveux partaient dans tous les sens, mais il y avait quelque chose dans ses yeux qu'elle n'avait jamais aperçu jusque-là, et qu'elle n'aurait sans doute jamais su reproduire, mais qui captait toute son attention. Ses gestes, d'ordinaire anodins et tout juste gracieux, étaient désormais calculés avec précision, comme le mouvement de la balle qui traversait le terrain comme un boulet de canon. Le spectacle était tel qu'elle en fut subjuguée, éblouie, toute retournée.

— Tu viens, Fusae-chan ?

La voix d'Igarashi Miyako traversa le nuage d'hébétude dans laquelle elle s'était enfermée, et elle sauta sur ses pieds pour aller la rejoindre au pas de course. La blonde-châtain, avec qui elle avait regardé le match en silence, l'attendait au bout de la rangée de bancs, les mains sur son appareil photo. Elle ne l'avait d'ailleurs pas lâché une seule seconde pendant le match, mitraillant de son objectif l'équipe d'Aobajohsai. Même en étant obnubilée par ce qu'il se passait sur le terrain, Fusae n'avait pas pu rester sourde aux clics fébriles à sa gauche qui n'avaient pas cessé de retentir.

— T'as pris beaucoup de photos, lui fit-elle remarquer, tandis qu'elles descendaient les escaliers pour sortir du gymnase.

— A-ah, oui, j'ai pas pu m'en empêcher, sourit-elle, légèrement embarrassée sans pour autant le regretter. J'étais dans la frénésie du moment.

Fusae la regarda faire défiler rêveusement tous les clichés sur l'écran numérique – où d'ailleurs le focus était principalement sur Iwaizumi, quand ce n'était pas directement un portrait de lui – avant de sortir de sa bulle pour esquisser un sourire mutin.

— Si tu veux, j'ai quelques images d'Oikawa-kun aussi. Je pourrai te les envoyer, et même te les imprimer, proposa la photographe avec un clin d'œil complice.

— Oh, euh... c'est pas ce que tu crois, s'empressa-t-elle de protester en s'empourprant, on n'est pas vraiment...

Le dernier mot de sa phrase se bloqua dans sa gorge. Pouvait-elle vraiment le dire à voix haute ? À Miyako qui plus est ? Elle se sentit tout à coup parfaitement stupide, car ces petits détails, ces questions, elle aurait très bien pu les poser à Oikawa sur la route jusqu'à Seijoh, ou pendant la semaine. Or ils avaient été surtout occupés à se chamailler, et elle s'en rendait compte seulement maintenant. Le rire cristallin de son interlocutrice l'arracha à ses inquiétudes.

— Je le sais bien, ça, révéla-t-elle. Iwaizumi-kun me l'a dit tout à l'heure. Mais...

Elle se pencha vers Fusae, l'air taquin.

— Il a eu l'air de te fasciner pendant le match de tout à l'heure. Du coup, c'est comme tu veux ~

— Hum, si ça te fait plaisir, murmura l'autre dans haussement d'épaules qui se voulait indifférent.

La Fenêtre d'en face |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant