La Fenêtre d'en face |HQ!!|

Chapitre 19 · Stigmates du passé

Sendai en automne valait le coup d'œil. Là où, le reste de l'année, c'était une métropole japonaise comme toutes les autres, tantôt caressée par les vents chauds du Pacifique, tantôt embrassée par le froid du Grand Nord ; ici l'arrière-saison déversait ses plus belles couleurs sur la ville. Les arbres se paraient d'or et de vermeil, des manteaux de feuilles brunes jonchaient les rues, et un éclatant ciel bleu surplombait le tout dans une palette des plus étourdissantes. C'était un éclatant tableau qui égayait le cœur, aux antipodes du gris sous toutes ses teintes qui tanguait dans l'esprit de Fusae depuis qu'elle avait reçu le message de son père.

Oikawa n'avait pas posé de question. Ni à Aobajohsai en voyant son brusque changement d'humeur, ni sur le trajet retour. Il avait expédié en quelques mots sa discussion avec Otsuka Mao – et l'artiste aurait juré qu'il avait quelque peu profité de la situation pour s'y dérober – puis salué Iwaizumi et Miyako sans plus d'explications. Et à la demande de Fusae, qui ne connaissait pas la route pour rentrer, ils avaient pris le chemin du retour dans un silence de plomb.

— Désolée, murmura-t-elle à l'intention de son voisin qui marchait à ses côtés depuis quelques minutes déjà. Tu voulais peut-être rester un peu avec tes potes...

Du coin de l'œil, l'artiste vit un petit sourire naître sur ses lèvres, puis il haussa les épaules, les mains nonchalamment enfouies dans les poches de son survêtement blanc et turquoise.

— Iwa-chan avait prévu de rentrer en train avec Igarashi, de toute façon, lâcha-t-il avec détachement. Et puis...

Il s'interrompit un instant pour se pencher vers elle et ajouter d'une voix plus basse, teintée de moquerie :

— Fallait bien que je te ramène ou tu aurais trouvé le moyen de te perdre en route ~

La taquinerie d'Oikawa n'eut pas l'effet escompté. Bien sûr, ce serait un mensonge de dire que ses joues ne s'enflammèrent pas un peu lorsque les boucles brunes de son voisin lui effleurèrent la tempe. Pourtant, la seule réaction de Fusae fut de détourner la tête dans un léger soupir, trop morose pour ne serait-ce que s'agacer ou rentrer dans son jeu. Entre ce message de son père et le vent glacial sur sa nuque, elle n'avait pour l'heure qu'une seule envie : rentrer chez elle pour se réfugier sous sa couette. Et peut-être pleurer, aussi. Elle sentit sur elle le regard intrigué de son interlocuteur, mais ne trouva pas l'envie pas de lui donner des explications. Qu'est-ce que ça pourrait bien lui faire, de toute manière ? Ce n'était pas comme s'il pouvait y changer quelque chose. L'adolescente déglutit à cette idée mais n'arrêta pas de marcher pour autant. Plus vite elle rentrait chez elle, mieux ce serait.

Son voisin ne l'entendit pas de cette oreille, bien au contraire. Si un instant, devant l'absence de réaction de sa part, Fusae crut qu'il laissait tomber, elle fut bien vite rattrapée par la réalité – et par Oikawa lui-même. Des pas rapides retentirent dans son dos, au point de faire voleter les feuilles mortes sur son passage, mais elle n'eut pas le temps de s'en interroger ou de se retourner : le bras du volleyeur s'entoura autour de ses épaules. Et dans un mouvement ferme, qui ne laissait place à aucune protestation, il entraîna la jeune fille vers une toute autre direction.

— Qu'est-ce que... tenta de s'interposer Fusae, après quelques secondes d'hébétude face à cette proximité inattendue. Oikawa, je suis presque sûre que c'est pas par-là qu'on est passés tout à l'heure.

— T'as dit toi-même que tu connaissais pas le chemin, répliqua-t-il non sans une pointe d'amusement. T'inquiète, Sae-chan, c'est juste un petit détour.

— Oui mais... écoute j'ai vraiment pas la tête à jouer ce soir. J'aimerais juste rentrer chez moi le plus vite possible.

Sa remarque arracha un gloussement à Oikawa, dont le rire vibra à travers elle avant d'atteindre ses tympans tant ils étaient proches. Elle eut bien du mal à ne pas s'en formaliser.