Chapitre 28 ⋅ Les élans du cœur

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Boum. Boum. Boum. Le rythme aussi régulier que soutenu faisait vibrer les murs. Il cognait contre les tympans, se faufilait sous la peau couverte de chair de poule et emportait le cœur dans une cadence infernale. Des voix l'accompagnaient, amplifiées par le micro qui passait de main en main, ainsi que des éclats de rire qu'on ne retenait plus. Les bruits se superposaient, mêlés à la chaleur moite qui s'emparait de la karaoke box, dans une ivresse de plus en plus insoutenable pour n'importe qui à la sociabilité limitée. Depuis longtemps bien au-delà de son taux quotidien d'interactions sociales, Fusae était de ceux-là, de ceux qui avaient besoin maintenant de se retrancher dans leur solitude. Elle cligna des yeux, ramenée à la réalité.

L'anniversaire de Yuna battait son plein. Une dizaine de leurs camarades de classe s'étaient réunis ce soir pour célébrer le dix-septième anniversaire de sa meilleure amie, qui rayonnait aux bras de son petit-ami Yoshita. Ce dernier, comme l'avait naïvement soupçonné l'artiste, était bel et bien resté distant pour lui offrir un cadeau des plus singuliers – une gourmette argentée qui avait fait couiner de plaisir la principale intéressée. Et depuis, les chansons se succédaient aux amuse-bouches, inarrêtables, intarissables, tandis que son esprit dérivait de plus en plus.

— Tout va bien, Fusae-chan ? Tu es bien silencieuse, je suis même pas sûre de t'avoir entendue chanter.

Son regard acier papillota en direction de celle qui se tenait à sa droite, un verre de diabolo menthe entre les mains. Il s'agissait de Marika, la fille qu'elle avait remplacée pour la Fête du Sport. Même avec ses béquilles, elle avait fait l'effort de les accompagner jusqu'au karaoké.

— Euh... si si, bégaya-t-elle aussitôt. Enfin, j'ai chanté avec Yuna, tout à l'heure.

— Oh, je vois. T'arrives pas à choisir de chanson, c'est ça ?

La noiraude grimaça et se tritura le cerveau pour trouver une excuse un minimum plausible à cet étrange vague à l'âme qui s'emparait d'elle. À vrai dire, ce sentiment ne l'avait pas quittée de la journée : dès le matin, lorsqu'elle avait vu la story Instagram d'Oikawa – où il annonçait se préparer pour son match, ça avait commencé à la ronger. Et depuis, elle s'était sentie un peu plus mal à chaque heure, alors qu'autour d'elle l'euphorie de la soirée d'anniversaire n'avait fait que se renforcer.

— N-non, j'ai juste... pas très envie de chanter ce soir, expliqua-t-elle avec lassitude, tandis que son interlocutrice arquait un sourcil.

— Ah ? Tu te sens pas bien ?

— Oui, enfin... je suis pas trop dans le mood.

Et pour ça, Fusae s'en voulait. Voilà des semaines que Yuna et elle prévoyaient cette soirée, choisissaient ce qu'elles comptaient manger, et sélectionnaient les chansons qui défileraient sur l'écran. Pourtant tout l'enthousiasme qu'elle avait ressenti à la préparation de cet événement l'avait complètement abandonnée, et seul le vide subsistait. Un vide froid et terne au creux de sa poitrine, qui la retenait, l'empêchait d'y prendre pleinement part. Un vide que seule une personne, dont elle visualisait sans mal le visage pour l'avoir dessiné un nombre incalculable de fois, aurait pu combler – et ça l'énervait quelque peu qu'il n'y ait que lui, toujours lui, pour semer le trouble dans ses pensées.

Voyant que Marika se détournait d'elle, interpellée par quelqu'un d'autre qu'elle n'identifiait pas, la jeune fille sortit discrètement son portable de son sac de cours. Vingt heures trente. Il était encore tôt, mais Oikawa devait avoir fini son match. L'avait-il gagné ? En son for intérieur, après l'avoir vu jouer, elle avait une folle envie d'affirmer sa victoire, pourtant... Pourtant son silence la faisait douter. Ni message enjoué, ni story de célébration ne venaient envahir ses notifications. Et connaissant les tendances de son voisin à s'enorgueillir de tout, c'était plus que révélateur. Le rapide passage qu'elle fit sur leur conversation, où elle hésita à lui envoyer un message sans pour autant oser le faire, puis sur les réseaux sociaux où ils étaient en contact, la confortèrent dans ses soupçons.

La Fenêtre d'en face |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant