Chapitre 6 (Théo)

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Tandis que je marche pour rentrer chez moi, je me repasse le film de cette rentrée scolaire peu commune. Je m'attendais à vivre une journée ennuyeuse à souhait mais il n'en a rien été. Cette journée m'a réservée son lot d'animations et m'a surtout permis de faire une belle rencontre (tout du moins pour moi c'est une belle rencontre, pour elle je n'en suis pas sûr).

Victoire. Je ne pensais pas qu'elle accepterait de me confier son prénom, surtout après la manière dont elle m'a reçu ce matin quand j'ai voulu lui faire une place sous mon parapluie. Je suis allé vers elle avec l'intention de lui rendre service. Je n'imaginais pas qu'elle accueillerait ma démarche avec tant d'hostilité. Si ses yeux avaient été des revolvers, je serais sans doute mort à l'heure qu'il est. Elle préférait manifestement faire le trajet seule, quitte à être trempée. La logique aurait voulu que je n'insiste pas et que je reparte d'où j'étais venu. Après tout, c'était son problème si elle préférait se faire tremper plutôt que de marcher avec moi. Mais je n'ai pas pu m'empêcher d'insister. Dans un premier temps, je lui ai laissé mon parapluie. Quand j'ai vu qu'elle s'en emparait, j'aurais dû me sentir satisfait - j'étais venu l'abriter, et elle était à l'abri - mais ce n'était pas le cas. Tandis que je marchais de l'autre côté de la route, j'éprouvais une sorte de frustration que je ne m'expliquais pas. C'est finalement la joie que j'ai ressentie quand elle m'a invité à la rejoindre sous mon parapluie qui m'a fait comprendre la cause de cette frustration. Il a suffi que je croise son regard pour que mon intention envers elle change du tout au tout. Je l'avais peut-être abordée dans le noble but de lui épargner une marche sous la pluie mais à présent tout ce qui m'intéressait c'était de faire le trajet avec elle dans l'espoir d'apprendre à la connaître. Et le parapluie n'était jamais que le parfait prétexte pour arriver à mes fins.

Si j'ai pu faire le trajet avec elle, pour ce qui est d'apprendre à la connaître en revanche c'est raté. Victoire ne m'a rien dit d'elle. En fait, nous ne nous sommes rien dit du tout car elle m'a interdit purement et simplement de lui parler. Tout ce que j'ai pu obtenir, c'est son prénom, et ça m'a déjà semblé énorme car j'ai vu combien elle a rechigné à me le donner.

Nous n'avons passé que quelques minutes ensemble mais il ne m'en a pas fallu davantage pour que je trouve à Victoire quelque chose d'extraordinaire. Quoi exactement ? Je ne sais pas. Mais le fait est que cette fille m'intrigue beaucoup. Tout en elle est mystère. L'air mélancolique qui couvre son visage. Cette méfiance qu'elle s'impose. Ce caractère si affirmé qui laisse malgré tout entrevoir une certaine fragilité. De ces quelques minutes passés à marcher à côté d'elle, j'ai tiré une conviction. Victoire n'est pas comme les autres filles de son âge. Elle n'a pas l'air d'une adolescente, dans ses yeux il n'y a point d'insouciance mais plutôt le sérieux de celle qui a déjà vécu. Elle a vécu, mais vécu quoi ? Je la trouve fascinante. J'aimerais pouvoir la percer à jour. Décidément, j'aimerais vraiment apprendre à la connaître... Seulement, elle, elle ne partage pas ma curiosité et n'aspire qu'à ce que je la laisse tranquille. Et puis, il faut dire aussi qu'en intervenant au réfectoire je n'ai pas marqué des points auprès d'elle.

Quand je l'ai vue aux prises avec ce garçon, je n'ai pas pu m'empêcher d'agir. Je n'aimais pas la manière qu'il avait de la menacer et il semblait si virulent que je me demandais jusqu'où il pouvait aller. J'ai pensé que je devais faire quelque chose. Je n'ai jamais eu l'intention de l'affronter, ni verbalement ni physiquement. Le fait est que j'ai horreur de la violence. Un comble pour un boxeur pourrait-on me dire. Et pourtant c'est la vérité. Je ne me bats que sur le ring et dans le strict respect des règles de mon sport. Ailleurs que sur celui-ci, je préfère la discussion car j'aime à penser que les mots sont beaucoup plus efficaces que les poings pour désamorcer les conflits.

En arrivant face à lui, je me suis demandé comment j'allais faire pour le calmer. Il était même tellement agressif que j'ai bien cru qu'il allait en venir aux mains avec moi. Mais heureusement un ami à lui est venu lui souffler à l'oreille de quoi le faire renoncer à m'attaquer, m'épargnant le fait de devoir faire une entorse à mes principes en lui collant une raclée (je suis non violent mais ça ne m'empêche pas de me défendre). Bêtement, j'ai d'abord cru que Victoire allait me remercier pour m'être interposé. Finalement, elle m'a au contraire accusé de me comporter en preux chevalier et m'a expressément demandé de ne plus jamais lui parler. J'aurais aimé pouvoir lui promettre que je lui ficherai la paix mais j'ai aussi pour principe de ne pas faire de promesse que je ne pourrai pas tenir. Alors je me suis abstenu de toute réaction, restant silencieux tandis qu'elle quittait le réfectoire d'un pas nerveux.

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant