Chapitre 45 (Théo)

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Plus que cinq minutes. La tension monte. Les coachs viennent de partir. Mon père est allé s'installer en tribune. Ils savent que j'ai besoin de calme et de solitude. Ils savent que j'ai besoin de me retrouver seul face à moi-même avant un combat important. Le vestiaire est parfaitement silencieux. Je n'entends rien d'autre que mon cœur qui se débat farouchement dans ma poitrine. J'essaye de faire le vide dans mon esprit. De chasser les pensées parasites pour ne plus me concentrer que sur mon objectif : gagner. J'ai l'habitude de ces moments-là. Je connais la pression et en principe je sais parfaitement comment la gérer. Mais aujourd'hui les choses sont différentes. Cette pression que j'éprouve me semble plus lourde qu'à l'ordinaire, si lourde qu'elle m'écrase de tout son poids. C'est à cause de l'enjeu qui est immense. Pour la première fois, je ne me bats pas pour moi. Si je monte sur le ring aujourd'hui, ce n'est pas pour remporter un titre de plus à accrocher à mon palmarès. Ni pour me garantir une place dans une grande université américaine. Ni même pour flatter mon ego de champion. Je suis ici pour Victoire, rien que pour elle. Je veux à tout prix honorer la promesse que je lui ai faite de lui ramener la médaille d'or. L'échec ne m'est pas permis car échouer serait la trahir. Pire, ce serait l'abandonner. Et il est hors de question que je l'abandonne. Je vais me battre pour elle, je vais triompher pour lui donner la force de triompher à son tour du coma qui la retient prisonnière. Je veux pouvoir rentrer dans sa chambre d'hôpital avec cette médaille d'or, la déposer au creux de sa main, et lui dire :

_ J'ai tenu ma parole. J'ai gagné pour toi. Et si moi j'ai gagné, je suis sûr que tu peux le faire aussi. Tu peux remporter ce combat intérieur que tu mènes. Tu peux t'en sortir. Et je serai là pour t'y aider. Je ne te lâcherai pas. Tu vivras. Nous vivrons. Et ensemble, nous serons heureux.

J'ai fait de ce combat le symbole de notre amour et la promesse de notre avenir. C'est la perspective de cette victoire dans ces championnats qui m'a animé et qui m'a fait tenir ces derniers jours. J'ai placé dans ce combat que je m'apprête à livrer tous mes espoirs. Et dans mon esprit, les choses se présentent ainsi : soit je gagne et mes espoirs demeurent. Soit je perds, et alors... eh bien alors je ne sais pas. Je ne veux même pas y penser. D'ailleurs, à quoi bon y penser. Après tout, je suis Théo Cari. Je ne perds jamais et je ne vais pas perdre aujourd'hui. Ça non, je ne perdrai pas parce qu'il est impossible que je perde. Je suis un gagneur, un champion. Je suis le roi du ring de ces championnats, et je ne suis pas prêt de céder ma couronne.

Je vais te la ramener cette médaille d'or Vic'. Je te le promets.

D'un pas déterminé, je quitte le vestiaire. Je traverse un long couloir au bout duquel je m'arrête pour attendre que le speaker du tournoi m'invite à faire mon entrée dans l'arène. De là où je me trouve, je peux voir le public. Les tribunes sont bondées. Les gens sont venus en nombre pour assister à l'affrontement des deux meilleurs boxeurs de leur génération. Ils s'agitent sur leurs sièges et poussent des cris d'excitation. Il règne dans cette salle des sports parisienne une atmosphère bouillante, digne des plus grands soirs. Je suis impatient d'en découdre. Je trépigne sur place. A mes côtés, à quelques centimètres à peine de moi, se trouve l'autre finaliste de ces championnats. Le plus redoutable de tous mes adversaires. Celui qui a été à deux doigts de réussir à me battre l'année dernière. J'avais livré contre lui un combat âprement disputé et il avait fallu que je puise dans mes dernières forces pour finalement m'imposer. Je sais que je vais devoir livrer une rude bataille pour conserver mon titre. Je veux croire que je suis prêt pour cette bataille, malgré le chagrin que me cause le coma de Victoire, malgré le souci que je me fais pour elle à chaque instant, malgré le vide que j'éprouve, malgré les nuits blanches, malgré la fatigue physique et psychologique accumulée ces jours-ci. Je veux croire que je suis prêt, malgré tout.

Nous restons encore quelques secondes ainsi. Côte à côte dans le couloir. Des secondes où je n'adresse pas un regard à mon adversaire. Je garde les yeux rivés sur le ring devant moi. Je tente de faire abstraction de tout le reste pour ne plus me concentrer que sur moi et sur ce que je dois faire pour gagner ce combat qui compte plus que tous les autres.

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant