Chapitre 9 (Victoire)

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Une fois n'est pas coutume, j'aurais voulu que cette journée de cours ne se finisse jamais. Rien que de penser que je vais devoir rentrer chez moi et  regarder ma mère et ma sœur se faire la tête, j'en ai la boule au ventre. Alors pour retarder ce moment, je décide de trainer dans le centre-ville d'Annecy. C'est l'heure de pointe, les rues sont bondées. Des voyageurs qui courent avec leurs valises pour ne pas manquer leurs trains croisent des travailleurs téléphones vissés à l'oreille qui semblent tout aussi pressés de rentrer chez eux. Je passe devant la terrasse d'un café où un groupe d'étudiants se détend en buvant des coups et en refaisant le monde. Puis je longe un instant les canaux qui valent à la ville son surnom de Venise des Alpes et m'engage dans une petite ruelle sur ma droite qui me mène là où j'aime me rendre quand j'ai besoin de respirer un peu.

La librairie « L'essentiel ». Un petit paradis dans lequel je trouve de quoi échapper à la morosité de la réalité. Grâce aux livres, je cesse de penser que je vais peut-être bientôt mourir. Le temps de quelques pages, j'oublie que je suis malade et je deviens une voyageuse à l'appétit insatiable de découvertes. Alors, je cours aussi vite que je le veux, je vibre d'amour et d'amitié, et je brûle de passion. Alors mon coeur triste sourit, je me sens revivre, et je ne suis plus seule. Les livres sont le meilleur remède que je connaisse contre la fatalité et le désespoir. Ils sont autant de rencontres que je ne pourrai pas faire et d'aventures que je ne pourrai pas connaître dans la vraie vie, faute d'avoir assez de temps devant moi. Me plonger dans un livre me permet de voler un instant d'éternité car les livres ont ceci de remarquable qu'ils survivent à leurs auteurs et à leurs lecteurs. Il m'arrive souvent de me dire que dans des décennies ou peut-être même des siècles une jeune fille de mon âge se passionnera pour les récits de Jules Verne, se fera envoûtée par la magie des mots de JK Rowling, sera initiée à l'amour par Jane Austen, et tremblera sous l'effet de la plume impitoyable de Stephen King comme je l'ai fait avant elle, comme des millions de jeunes filles l'ont fait avant elle. Les livres participent à façonner l'inconscient collectif et, en cela, constituent un pont entre les générations. Ils sont tout à la fois un témoignage précieux du passé, un bonheur du présent, et une promesse d'avenir. Ils sont un chemin vers la connaissance et une fenêtre ouverte sur le monde, une issue contre l'isolement, une source intarissable d'émerveillement et de liberté, et un pansement qui guérit les maux du quotidien. C'est parce-qu'ils sont toutes ces choses et plus encore que les livres me sont essentiels, c'est parce-qu'ils sont toutes ces choses et plus encore qu'ils sont essentiels.

Je ressors de la librairie une grosse demi-heure plus tard. Je flâne encore quelques minutes dans les rues piétonnes puis je me décide enfin à rentrer chez moi. A peine ai-je passé le seuil que ma mère se rue vers moi pour me donner un de ses fameux sermons :

_ Bon sang Victoire, je peux savoir où tu étais ?

Dans un premier temps, je fais mine de l'ignorer. Je me débarrasse de mes chaussures et de ma veste, et je passe devant elle sans un mot à son attention. Elle se lance à ma poursuite et me rattrape dans le séjour où se trouve aussi ma soeur qui, comme souvent à cette heure-ci, est affalée sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone et sûrement occupée à répondre à ses nombreux admirateurs sur les réseaux sociaux.

_ Victoire, je t'ai posé une question ! insiste ma mère, furax.

Je pousse un soupir excédé avant de me décider à lui répondre, consciente qu'elle ne me lâchera pas tant que je ne lui aurai pas expliqué pourquoi il m'a fallu une heure pour rentrer à la maison alors que le trajet n'aurait dû me prendre que quelques minutes :

_ La professeure d'histoire nous a laissés partir un peu plus tôt alors j'en ai profité pour faire un crochet par la librairie avant de rentrer.

Ma mère se tient debout face à moi. Les bras croisés sur sa poitrine, elle continue de me fixer avec sévérité ce qui me prête à penser que ma réponse ne va pas suffire à calmer ses ardeurs. Pensant qu'elle doute peut-être du fait que je lui dise la vérité (elle sait pourtant combien j'aime aller dans cette librairie), je brandis le sac contenant mes achats, en preuve de ma bonne foi. Mais ma mère n'en a cure. D'une voix secouée par une colère qui ne retombe pas, elle me reproche encore :

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant