Coma.
Il s'en est suffi de quatre petites lettres pour que mon existence toute entière soit anéantie. Il s'en est suffi de quelques secondes pour que mon monde s'effondre. Il s'en est suffi d'une annonce, d'une terrible annonce faite par un homme en blouse blanche pour que je passe du bonheur le plus total au malheur le plus profond. Il y a de cela quelques jours, j'étais le jeune homme le plus heureux sur cette terre. J'avais le cœur plein, j'étais amoureux d'une fille formidable qui par le plus beau des hasards m'aimait aussi. J'étais comblé, et je voulais croire je le resterais encore longtemps, malgré le menace qui pesait sur celle que j'aimais, malgré sa maladie, malgré tout.
La vie m'avait fait le plus beau des cadeaux en mettant Victoire sur mon chemin par un matin pluvieux. Elle m'avait offert la plus merveilleuse des rencontres, une rencontre que je n'imaginais possible que dans les films ou les livres. Je lui étais reconnaissant de s'être montrée si généreuse avec moi. Et avec la naïveté de ceux qui n'ont pas encore vraiment vécu, j'ai pris cette générosité pour acquise. Je me suis raconté un joli conte dans lequel j'étais le héro, un héro à qui il ne pouvait arriver que de belles choses parce qu'il pouvait compter sur une petite étoile qui veillait sur lui. Je pensais que la fin serait belle, car après tout les contes sont ainsi faits qu'ils finissent toujours bien. Je ne savais pas que la vie pouvait aussi être cruelle, je ne m'en serais jamais douté. La vie m'a trahi, elle m'a tout donné pour ensuite tout me reprendre. Elle a laissé le drame survenir, elle a changé le rêve en cauchemar. Et maintenant me voilà, toujours amoureux mais horriblement malheureux parce que celle que j'aime n'est plus en mesure de m'aimer. Elle est allongée, les yeux clos, le teint pâle, le corps frêle, plongée dans un sommeil dont elle ne sortira peut-être jamais. Bien sûr, je savais que cette opération comportait des risques. Remplacer un cœur par un autre est forcément risqué. Mais je m'étais persuadé que tout irait pour le mieux, je m'étais convaincu que Victoire serait sauvée. Je n'imaginais pas qu'elle pourrait se retrouver plongée dans le coma, enfermée quelque part entre la vie et la mort, pas vraiment vivante ni vraiment morte.
Les médecins nous ont expliqués avec une voix désolée que Victoire était plongée dans un coma de stade avancé. Autant dire qu'il y a peu de chance pour qu'elle s'en sorte. Mais qu'importe. Je suis quelqu'un de combattif. Je ne baisserai pas les bras. Tant que le nouveau cœur de Victoire bat, que son corps est chaud, que ses poumons se gonflent d'oxygène, et que le sang jaillit dans ses veines, je me dis que l'espoir est permis. Et je me raccroche à cet espoir-là, aussi infime puisse-t-il être.
Tous les jours depuis dix jours, je me rends à l'hôpital après les cours pour être au chevet de ma belle endormie. Je lui parle, je lui lis des vers d'Alfred de Musset, je lui fais écouter de la musique, je lui dis que je l'aime, tout ça sans savoir si elle peut m'entendre. Parfois je me sens faiblir, ma gorge se noue et les larmes me montent aux yeux. Mais je ne les laisse pas couler sur mes joues. Il est hors de question que je pleure. Je ne dois pas faillir, je dois être fort pour donner à Victoire la force de se battre.
***
Je viens prendre place à table pour le dîner. Je commence à manger en silence. Ma mère ne touche pas à son assiette. Elle me fixe avec cet air désemparé qui ne quitte plus son visage depuis qu'elle a appris pour Victoire. Quant à mon père, il n'est guère plus bavard que moi. Il est perdu dans des pensées à plusieurs millions d'euros, comme à son habitude, fidèle à lui-même. Je me doute bien qu'il n'est pas indifférent à ce qui arrive à Victoire. Mais s'il s'en soucie, il n'en laisse rien paraître. Au moment de l'annonce du médecin, il est demeuré figé sur sa chaise, les doigts immobiles sur son clavier, sans réaction. J'espérais qu'il me réconforte, qu'il me prenne dans ses bras, ou au moins qu'il me dise qu'il était désolé et qu'il était là si j'avais besoin de parler. J'attendais de lui un geste d'affection mais il n'est pas venu. Je ne lui en veux pas, mon père est tel qu'il est, notre relation est ainsi faite qu'elle se vit sans effusion de sentiments.
Sitôt que j'ai terminé mon assiette, je me lève et je commence à débarrasser mon coin de table. Me voyant faire, ma mère s'enquiert :
_ Tu as déjà fini ? Tu n'as même pas pris de dessert.
_ Je n'ai plus faim, je lui réponds simplement avant de me diriger vers la cuisine pour y faire la vaisselle.
Je fais mon retour dans le séjour quelques minutes plus tard. Mes parents ont fini de manger. Mon père a ouvert son ordinateur portable pour consulter ses mails tandis que ma mère boit une tisane. Visiblement perdue dans ses pensées, elle garde le regard fixé droit devant elle sur le mur et ne semble pas s'être aperçue de mon retour dans la pièce. C'est seulement lorsque je me mets à parler qu'elle tourne la tête vers moi :
_ Je vais me coucher. Il faut que je sois en forme ce week-end. Bonne nuit.
Sur ces mots, je commence à me diriger vers le couloir mais à peine ai-je accompli quelques pas que ma mère me retient.
_ Tu es sûr de vouloir aller à ces championnats de France ?
Je m'arrête et me retourne pour lui faire face.
_ Évidemment que je veux y aller.
Malgré le ton convaincu que j'ai employé au moment de formuler cette réponse, elle renchérit dans la foulée :
_ Non parce qu'avec tout ce que tu traverses en ce moment, il serait tout à fait compréhensible que tu n'aies pas la tête à la boxe et que tu n'aies pas envie de disputer cette compétition.
Mon père cesse soudain de pianoter sur son clavier et l'interrompt :
_ Théo vient de te dire qu'il était sûr.
Ma mère l'ignore superbement et ajoute à mon attention :
_ Je sais bien que tu as fait de la défense de ton titre de champion de France le principal objectif de ta saison sportive, mais tu peux très bien renoncer à combattre cette année et revenir l'année suivante.
_ Non, justement je ne peux pas, je lui confie d'une voix empreinte de gravité.
_ Bien sûr que si tu peux. Quoi qu'en dise ton père, participer à ces championnats n'est pas une obligation et tu peux très bien...
En proie à un agacement grandissant, mon père la coupe de nouveau :
_ Pour ta gouverne, je ne lui ai rien dit du tout au sujet de sa participation aux championnats. Il fait bien comme il veut. Et puisqu'il vient de t'assurer vouloir les faire, je ne vois vraiment pas pourquoi tu insistes. En plus, je pense sincèrement que boxer pourrait lui faire du bien.
La dernière chose que je souhaite est de voir mes parents se déchirer à cause de moi. Mon père pense à mon avenir, à mes chances d'intégrer une grande école à la rentrée prochaine. Ma mère veut me préserver. Elle préfère me garder auprès d'elle ce week-end pour tenter de me consoler d'un chagrin qui pourtant est bien trop grand pour être consolable. Leurs voix sont certes discordantes mais au fond je sais qu'ils veulent tous les deux ce qu'il y a de mieux pour moi. Je leur suis reconnaissant de s'en faire ainsi pour moi. Mais la décision de participer ou non aux championnats m'appartient. C'est à moi de la prendre. A moi et à moi seul. J'y ai beaucoup réfléchi ces derniers jours, et j'ai fini par me forger une conviction. Une conviction très forte à laquelle je ne démorderai pas et que je m'empresse de partager à mes parents afin de trancher une bonne fois pour toutes le débat :
_ J'ai fait la promesse à Victoire de lui ramener la médaille d'or et je n'ai qu'une parole. Alors je vais me rendre à ces championnats et je vais les gagner.
Mes parents n'ont rien trouvé à redire. Ils ont compris combien cette promesse était importante pour moi et ils ont acquiescé chacun d'un signe de tête pour me témoigner leur soutien. Je leur ai souhaité pour la deuxième fois une bonne nuit et j'ai quitté la pièce pour aller me coucher.
J'espère que ce chapitre vous a plu :) Théo va-t-il pouvoir tenir sa promesse et remporter la médaille d'or aux championnats de France ?
La suite dès samedi prochain :)
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Juste une fille bien
Roman d'amourVictoire habite avec ses parents et sa soeur sur les rives du lac d'Annecy. Plutôt solitaire, elle n'a pas vraiment d'amis au lycée. Quant aux garçons, ils ne la remarquent pas ce qui lui convient très bien car dans sa situation pas question de s'at...