Chapitre 14 (Théo)

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Il est près de 21h quand mes coachs mettent fin à mon entraînement. Courbatures et articulations douloureuses, mon corps se ressent de la séance particulièrement éprouvante qu'ils viennent de me faire subir. Mais pas de quoi m'inquiéter, je me sens fatigué mais je sais que c'est de la bonne fatigue. Dans quelques jours, j'aurai accompli le plus gros de ma préparation physique et je serai fin prêt à monter sur le ring pour mes premières compétitions. De quoi me réjouir, je vais enfin pouvoir récolter les fruits de tout le travail réalisé cet été.

Comme il me voit tarder à quitter la salle pour aller me changer aux vestiaires, l'un de mes coachs me lance :

_ Qu'est-ce que tu attends ?

_ J'attends que la voie soit libre, je lui réponds dans un soupir en désignant les vitres de la salle contre lesquelles des visages aux regards intrusifs se pressent encore et toujours.

_ Ben quoi ? Tu n'es pas content d'avoir un fan club ? me charrie-t-il en retour.

_ Pas vraiment non. Je suis venu m'entraîner, pas me donner en spectacle. D'ailleurs, j'espère que la salle de boxe sera vite remise en état parce-qu'ici question discrétion et tranquillité on a connu mieux.

Le coach lâche un éclat de rire.

_ Regardez-moi ça, le grand Théo Cari fait sa princesse ! La prochaine fois on réservera pour vous la salle omnisport toute entière, ainsi son Altesse pourra s'entrainer à huis clos et jouira d'une quiétude retrouvée ! s'écrie-t-il d'un ton volontairement grandiloquent en mimant une révérence.

A ce trait d'humour que j'accueille d'une moue boudeuse, il ajoute :

_ Bon, tu peux passer la nuit ici si ça te chante mais moi je file. Bonne soirée Théo, récupère bien et à demain !

Juste avant de quitter la salle, il se retourne vers moi et me lance un stylo que j'attrape au vol. Tandis que je le fixe d'un oeil interrogateur, il me dit :

_ C'est pour signer les autographes quand tu te décideras à sortir !

Il n'y a rien de pire que mon coach qui essaye d'être drôle. Je crois que je préfère encore quand il me crie dessus parce-que je ne frappe pas assez fort, que je ne me déplace pas assez vite, ou que sais-je d'autre.

A présent seul dans la salle, je m'offre quelques minutes d'étirements supplémentaires afin de différer ma sortie. Et c'est seulement quand je suis sûr que le couloir est désert que je prends la direction des vestiaires. J'en ressors un instant plus tard, douché et changé. Je longe à nouveau le couloir, traverse le hall et m'apprête à quitter la salle omnisport quand des airs de musique attirent mon attention. Des notes de piano au milieu du silence, et bientôt une voix. Une voix si belle qu'elle me donne des frissons. A qui peut-elle appartenir ? L'envie me prend de le découvrir. Je reviens sur mes pas et emprunte un nouveau couloir sur ma droite. Au bout de quelques mètres, je me retrouve face à la porte de la salle d'où vient la musique. J'hésite d'abord à l'ouvrir, craignant que mon entrée ne perturbe la prestation. Mais la tentation de mettre un visage sur cette voix ensorcelante est trop forte et je ne peux lui résister. Alors, je presse la poignée de la porte, je la pousse doucement avant de la refermer derrière moi aussi discrètement que possible. Sur la pointe des pieds, je me rapproche de la petite estrade sur laquelle la chanteuse est en train de se produire. Je ne peux d'abord pas la voir car elle est dissimulée par un groupe d'une dizaine de personnes qui l'écoutent religieusement. Mais bientôt l'une de ces personnes s'écarte de sorte que je peux désormais apercevoir la silhouette de la chanteuse. Je m'avance encore un peu pour mieux la distinguer et je vois son visage. Je suis stupéfait de constater que je connais la chanteuse à la voix enivrante. Il me faut de longues secondes avant de pouvoir me convaincre que c'est bien elle. Victoire. C'est elle qui se tient debout sur l'estrade. Les yeux fermés, le micro en main, parfaitement immobile, elle interprète « The Scientist » de Coldplay. La fille au regard mélancolique a donc aussi une voix d'ange. Si je m'y attendais ! Elle est décidément intriguante. Que dis-je intriguante, elle est passionnante ! Et moi je me passionne pour elle.

Je pourrais rester des heures à l'écouter chanter. A l'admirer sur cette estrade, car oui, à cet instant, ce que j'éprouve pour elle n'est plus seulement de l'intérêt mais bien de l'admiration. Je les admire, elle et son talent immense pour la musique que je n'aurais jamais pu soupçonner, que je n'aurais peut-être jamais connu si je n'avais pas eu la merveilleuse idée de rentrer dans cette salle. Tandis que je l'admire ainsi, je songe que mon attachement pour elle vient de passer un cap supplémentaire. La sensibilité que je lui devinais jusqu'alors en dépit de ses efforts pour se montrer rude avec moi m'apparait maintenant sous ses traits les plus évidents, et cette sensibilité-là me touche au cœur.

J'aurais voulu que ce moment de grâce ne cesse jamais mais voilà qu'il prend fin brusquement. Au beau milieu du morceau, Victoire s'arrête soudain de chanter. Croyant que sa mémoire lui fait défaut et lui fait perdre le fil des paroles qu'elle doit prononcer, sa professeure les lui souffle tout en continuant d'appuyer sur les touches du piano. Elle espère que Victoire va reprendre le cours de sa prestation mais elle n'en fait rien. Cette dernière reste totalement silencieuse. Sa voix s'est tue et ne fera plus vibrer personne ce soir.

A la manière qu'elle a de me considérer d'un regard noir, je comprends que c'est à cause de moi si elle s'est interrompue. Elle vient seulement de s'apercevoir de ma présence et à l'évidence, elle est tout sauf ravie de me savoir là. La professeure cesse de jouer. Les autres membres du groupe se tournent à leur tour vers moi et se laissent aller à des commentaires distillés d'une voix trop basse pour qu'ils me parviennent. Moi qui tenais à être discret, me voilà maintenant l'objet de toutes les attentions. Mais ce n'est pas ce qui me gêne le plus. Ma seule véritable crainte est de m'être attiré les foudres de Victoire ; et cette crainte ne tarde malheureusement pas à se matérialiser. En effet, après être restée encore quelques secondes immobile à me fusiller des yeux, Victoire abandonne l'estrade et se dirige vers moi d'un pas nerveux. Arrivée à ma hauteur, elle s'arrête net. Elle me fait face un instant puis, pointant sur moi un doigt accusateur, elle me tance :

_ Tu n'avais pas le droit de venir ici sans y être invité ! Tu n'aurais jamais dû venir ! Tu n'es qu'un sale con, je te déteste !

Sans me laisser le temps de rien dire pour ma défense ni de lui répondre, elle se détourne de moi et se presse vers la sortie de la salle. Quant à moi, je reste un instant groggy, sous le choc des paroles véhémentes qu'elle vient de m'adresser, rongé par la culpabilité et profondément attristé par l'idée qu'elle me déteste véritablement, comme elle le prétend. Puis je m'excuse auprès de la professeure de chant d'avoir perturbé son cours et je me dépêche de quitter la salle pour me lancer à la poursuite de Victoire, me raccrochant à l'espoir de pouvoir me réconcilier avec elle même si au fond de moi je doute qu'une telle réconciliation soit possible tant elle a semblé blessée par mon intrusion.

J'espère que ce chapitre vous a plu :)
La suite dès mardi ;)

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant