Vivre malgré la maladie. C'est ce que Victoire et moi nous efforçons de faire depuis qu'elle m'a avoué la vérité. Et je veux croire que nous y parvenons.
Je fais ce que ma mère m'a dit. J'aime Victoire. Mais je ne l'aime pas de la même manière qu'avant. Je l'aime plus fort encore. Je suis conscient que les jours que nous passons ensemble sont peut-être comptés. Je sais que le temps joue contre nous. J'aimerais le ralentir, le stopper. Mais je ne le peux pas. Il court, il fonce, il cavale et moi je suis obligé de le laisser faire, impuissant face à son empressement, terrifié de le voir ainsi s'égrener à une vitesse folle et nous rapprocher d'une issue que je me refuse à envisager. Je fais ce que je peux faire. Je profite de Victoire et je vis chaque instant avec elle comme si c'était le dernier, intensément, passionnément. Je ne veux pas perdre une miette de notre bonheur à deux. La moindre seconde que nous passons ensemble, le moindre sourire que nous échangeons, la moindre étreinte que nous partageons, le moindre baiser que nous nous donnons, est un cadeau que je savoure et que je chéris comme le plus beau des trésors.
Je suis lucide sur la situation. Je vois bien que la maladie de Victoire gagne du terrain. Elle lui vole ses forces et l'accable d'une fatigue qui grandit de jour en jour. Ses étourdissements sont maintenant quotidiens et ses moyens physiques périclitent à vue d'œil. C'est un spectacle à la fois effrayant, déchirant et révoltant que de voir celle que j'aime ainsi trahie par son corps qui s'épuise, ainsi trahie par son cœur qui n'en peut plus de battre et qui s'arrêtera de le faire s'il n'est pas très bientôt remplacé par un autre plus vaillant que lui. Je souffre pour elle, ce serait mentir de le nier. Mais je prends sur moi et je fais tout pour ne pas le montrer. Victoire souffre plus encore que moi, elle est admirable de courage dans ce combat pour la vie qu'elle mène et il en va de mon devoir d'être courageux pour l'accompagner au mieux dans cette bataille.
Victoire n'est désormais plus en mesure d'aller au lycée. Elle a dû malgré elle se plier à la décision de ses parents de la garder à la maison mais elle a insisté pour pouvoir suivre les cours à distance. Elle voulait garder de quoi occuper ses journées, conserver un semblant de normalité dans une période qui n'avait rien de normale. Elle voulait aussi envoyer un signe d'espoir à ses parents, leur montrer qu'elle continuait de croire en l'avenir et en ses chances de survivre au mal qui la rongeait.
Je vais voir Victoire chaque soir à la sortie des cours. Pour ce faire, j'ai dû renoncer à certaines de mes séances de boxe et je ne m'entraine plus que les mercredis et les week-ends. Quand j'ai fait part à mon père de cette intention, il a réagi d'une manière surprenante. Je m'attendais à recevoir ses foudres, à ce qu'il crie, qu'il râle, qu'il me dise combien j'étais con de sacrifier mon avenir pour une fille, peu lui important à lui, l'homme sans pitié, que cette fille-là soit mourante. Mais il n'a rien fait de tout cela. Après avoir tout de même secoué ostensiblement la tête pour signifier que cette décision ne lui plaisait guère, il m'a juste dit :
_ Ok. Mais il te faudra t'entraîner d'autant plus dur les mercredis et les week-ends si tu veux éviter de te ridiculiser aux championnats.
Une attitude presque compréhensive que je ne m'explique pas. Je soupçonne ma mère d'avoir quelque chose à voir là-dedans, peut-être l'a-t-elle de nouveau menacé de le quitter. Ma mère doit forcément avoir joué un rôle, sans quoi cela voudrait dire que mon père cache une once d'humanité derrière ce masque d'indifférence qui m'a fait tant le détester l'autre jour, une hypothèse à laquelle je n'ose malheureusement plus croire.
***
Un jeudi soir que je me trouvais avec Victoire dans sa chambre, elle m'a dit avoir quelque chose à me demander. Une chose importante à laquelle elle pensait depuis un moment mais dont elle n'avait pas encore osé me parler. Il n'en fallait pas plus pour titiller ma curiosité et je me suis empressé de la questionner sur ce qu'était cette chose importante. A ce moment-là, j'entends au moment où je lui ai posé cette question, nous étions couchés sur son lit et elle était lovée dans mes bras. Elle ne m'a pas répondu tout de suite. D'abord, elle a relevé la tête de mon torse sur lequel elle reposait jusqu'alors. Elle m'a fixé un instant droit dans les yeux. Puis elle a pris mon visage dans ses mains, et m'a embrassé d'une manière langoureuse, d'une manière sensuelle, comme je ne l'avais encore jamais vue le faire. Il y avait derrière ce baiser si différent des autres une envie manifeste de susciter en moi le désir. Et au cas où je n'aurais pas compris le message subliminal qu'elle tentait ainsi de me faire passer, elle a aussi pris soin de venir me susurrer à l'oreille ces quelques mots qui finissait de lever toute ambiguïté :
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Juste une fille bien
RomanceVictoire habite avec ses parents et sa soeur sur les rives du lac d'Annecy. Plutôt solitaire, elle n'a pas vraiment d'amis au lycée. Quant aux garçons, ils ne la remarquent pas ce qui lui convient très bien car dans sa situation pas question de s'at...