Chapitre 8 (Victoire)

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Arrivée à un carrefour, j'aperçois une silhouette de l'autre côté de la rue. Cette scène a comme un air de déjà vu, elle ressemble à s'y méprendre à celle que j'ai vécue hier matin, la pluie en moins. Son parapluie à la main malgré un ciel sans nuage et un soleil déjà éclatant à cette heure matinale, Théo s'approche de moi et me lance avec le même sourire rayonnant que la veille :

_ Bonjour Victoire !

A entendre le ton détaché qu'il a employé pour me saluer, je me demande s'il a oublié ce que je lui ai dit juste avant de quitter le réfectoire.

_ Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans la phrase « fiche-moi la paix » ? je lui dis d'un ton réprobateur.

Il est sur le point de me répondre mais je le devance lorsque j'ajoute :

_ Et qu'est-ce que tu fais avec ce parapluie alors qu'il fait grand beau ? C'est grotesque !

Il reste un instant imperturbable, brandissant toujours fièrement son parapluie au dessus de sa tête. Puis il me lance en retour :

_ Je sais ce que tu m'as dit. Mais comme justement moi je ne t'ai pas promis de te ficher la paix, je me suis dit que j'allais te proposer que nous fassions le trajet ensemble. Et si j'ai pris mon parapluie, c'est parce-que j'ai pensé que tu refuserais de te rendre au lycée en ma compagnie mais que, comme hier, tu accepterais peut-être que je t'abrite sur le chemin !

Je ne sais pas si je dois trouver son entêtement à vouloir faire le trajet avec moi mignon, pathétique, ou considérer qu'il relève du harcèlement. Incapable de trancher, je me contente de lui faire remarquer combien ses propos sont insensés :

_ M'abriter de quoi ? Il n'y a pas l'ombre d'une perturbation à l'horizon !

_ On n'est jamais trop prudent, me répond-t-il dans un clin d'oeil.

Il s'en suit un temps de silence au cours duquel je me surprends à lâcher un sourire à Théo avant de me reprendre aussitôt. Je ne voudrais pas qu'il se mette à croire que je l'apprécie. Et pour cause, je ne l'apprécie pas, disons simplement qu'il m'est moins désagréable que la veille, ce qui ne me fait pas pour autant changer d'avis à son sujet.

Je ne veux pas qu'il m'accompagne sur la route du lycée. Quand je le lui signifie, je m'attends à ce qu'il insiste comme il l'a fait hier, mais non. Il tourne les talons et profite d'une interruption dans le trafic pour traverser la rue et rejoindre le trottoir opposé. Là, il se met à marcher, feignant d'ignorer les regards médusés des passants qui se demandent qui est cet imbécile qui se promène sous un parapluie par une journée si belle. Heureusement que le ridicule ne tue pas, sans quoi il n'aurait aucune chance d'arriver au lycée vivant.

J'avance. Théo calque le rythme de ses pas sur les miens. Je m'efforce d'abord de faire comme s'il n'était pas là. Mais de temps à autre, je jette tout de même un oeil vers lui. Je le fais à plusieurs reprises sans qu'il ne remarque rien. Et puis à force, il finit par me voir faire. Nos regards se croisent et il éclate d'un rire sonore. Malgré moi, je me mets aussi à glousser. Alors qu'une vieille dame qui attend son bus nous observe d'un air éberlué, se disant sûrement que les jeunes d'aujourd'hui sont devenus complètement zinzins, je décide de mettre fin à cette comédie et propose un marché à Théo :

_ Si j'accepte que tu fasses le trajet avec moi, tu promets de ranger ce parapluie ?

En retour, il lève le main droite et me dit d'un ton faussement solennel :

_ Je le jure.

Tandis qu'il vient me rejoindre de mon côté de la route, je pousse un soupir en songeant que je me suis encore laissée attendrir par son drôle de chantage au parapluie. Moi qui d'ordinaire n'ai aucun mal à tenir les gens à distance, je n'y parviens décidément pas avec Théo. J'ai beau le repousser, il revient toujours vers moi. Je ne sais pas comment expliquer une telle obstination de sa part. Ça ne peut pas être par intérêt pour moi car je n'intéresse jamais personne, et certainement pas un garçon comme Théo. Peut-être qu'il ne supporte tout simplement pas de faire le trajet tout seul et qu'il a besoin de moi comme d'un bouche-trou pour lui tenir compagnie sur la route du lycée. Oui ce doit être ça, je ne vois pas pour quelle autre raison sinon. Quant à l'épisode du réfectoire, s'il a pris ma défense, c'est sûrement parce-qu'il a trouvé là une occasion de montrer les muscles et d'attirer l'attention sur lui. C'est bien connu, les mauvais garçons adorent se faire remarquer. Quoi qu'il en soit, qu'il ne compte pas sur moi pour lui faire la conversation. Je veux bien qu'il marche à côté de moi (il ne faudrait pas que ça devienne une mauvaise habitude quand même) mais qu'il n'espère pas que nous parlions comme le feraient deux bons amis que nous ne sommes pas. J'exige donc de lui le même silence qu'hier, et il n'émet aucune objection (il n'a pas vraiment le choix ; il sait qu'au moindre désaccord je les envoie paître, lui et son satanée parapluie).

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant