Chapitre 25 (Théo)

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Le samedi venu, je retrouve Victoire devant le lycée à 13h30. Nous montons dans un bus qui nous dépose quelques kilomètres plus loin, en plein centre-ville. La salle de musique de ma mère se situe à deux pas de la gare, le long d'une petite rue pavée, au rez-de-chaussée d'un vieil immeuble de style Haussmannien. Nous entrons. Nous traversons un étroit couloir qui mène dans un petit salon. Un pupitre, quelques chaises, des instruments en vrac. Et au fond à gauche, sur une estrade, un piano. Pas n'importe quel piano. Un Steinway. Celui-là même avec lequel ma mère a débuté sa carrière de pianiste professionnelle. Une merveille, aux yeux des connaisseurs. Et il faut croire que Victoire est une connaisseuse, car elle est émerveillée justement. Pour ainsi dire, son visage est traversé du même air béat que celui d'un enfant lorsqu'il découvre ses cadeaux sous le sapin un matin de Noël.

Tandis qu'elle poursuit sa contemplation, je m'écrie pour prévenir ma mère de notre arrivée :

_ Maman, c'est nous. On est là !

Ni une ni deux et la voilà déjà qui sort de son bureau pour nous rejoindre dans la pièce. D'un pas pressé qui en dit long sur son excitation, elle s'approche de Victoire. Elle consacre plusieurs secondes à la détailler en silence puis elle lui lance avec un enthousiasme qui ne se démord pas :

_ Alors c'est donc toi la fameuse Victoire ! Je suis si heureuse de faire enfin ta connaissance. Théo m'a beaucoup parlé de toi, tu sais ?

_ Maman ! je la reprends aussitôt, en espérant que Victoire n'ait pas prêté attention à ce qu'elle vient de dire.

Un espoir vain car, précisément, Victoire a tout entendu et s'empresse de me questionner :

_ C'est vrai ça ? Tu parles beaucoup de moi ?

Je n'ai pas le temps de lui répondre que ma mère s'exclame déjà :

_ Il m'a dit que tu étais belle et je constate qu'il ne m'a pas menti.

_ Maman ! je réagis encore.

Je n'y crois pas ! Ma mère est en train de déballer toutes les confidences que je lui ai faites l'autre soir. C'était bien la peine de me promettre qu'elle garderait tout ça pour elle. Cela dit, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Depuis le temps que je connais ma mère (c'est à dire depuis toujours), j'aurais dû me douter qu'elle ne saurait pas tenir sa langue. Je ne suis pas sans ignorer qu'elle n'est pas faite pour garder des secrets et je me demande bien ce qui m'a pris de lui parler de mon affection pour Victoire. J'ai de drôles d'idées parfois !

Comme après tout on n'en est plus à une indiscrétion près, ma mère renchérit :

_ Tu sais Victoire, mon fils n'en a pas l'air comme ça, mais au fond c'est un grand timide, c'est pour ça qu'il n'ose pas te répéter ce qu'il m'a dit. Mais il va bien falloir qu'il le fasse à un moment ou à un autre car les sentiments qu'il a pour toi ne sont pas du genre de ceux que l'on peut taire éternellement.

Si je maîtrisais l'art de la téléportation je m'en servirais sur-le-champ pour fuir cette situation terriblement embarrassante. Seulement, je ne sais pas comment faire pour me téléporter alors je suis bien forcé de rester là et de faire face. Tandis que ma mère m'adresse un clin d'oeil lequel finit de me convaincre si j'en doutais encore qu'elle a décidé de jouer les entremetteuses et tandis que Victoire, la voyant faire, ne peut s'empêcher d'éclater de rire, je me sens mourir de honte. D'ailleurs s'il ne s'agissait pas que d'une expression, je crois bien que là tout de suite je serais sûrement mort. Ça oui, je serais six pieds sous terre. Aussi mort que l'on peut l'être.

Je m'efforce d'écourter cette conversation qui n'a déjà que trop duré. Faisant preuve d'une subtilité admirable, je rappelle la raison de notre présence ici à qui semblerait l'avoir oubliée :

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant