Juste une fille bien

Chapitre 23 (Théo)

Je consacre le trajet qui me ramène de la salle omnisport jusqu'à chez moi à me demander comment je vais bien pouvoir m'y prendre pour convaincre mon père de me laisser participer à la semaine de la musique. Je me doute que ça ne sera pas une mince affaire car comme l'a très justement relevé Victoire, mon père ne m'a pas forcé à arrêter la musique pour que je reprenne maintenant. Mais je veux tout de même croire que je peux y parvenir.  Après tout, je lui demande juste d'être autorisé à faire une prestation devant les élèves du lycée, ce n'est pas comme si je venais lui annoncer que je renonce à étudier le droit pour me lancer dans une carrière musicale. Il devrait comprendre, enfin j'espère.

Tandis que nous prenons place à table, mon père, un sourire rayonnant aux lèvres, nous informe qu'il vient de décrocher un gros contrat. Or qui dit gros contrat dit beaucoup d'argent à la clé, et la perspective de gagner beaucoup d'argent comble toujours mon père de bonheur. C'est une chance qu'il soit de bonne humeur ce soir, peut-être qu'ainsi il se montrera plus conciliant (si tant est que mon père soit capable de se montrer conciliant ce qui reste à prouver). Cette pensée optimiste à l'esprit, je le félicite chaudement. Ma mère m'imite quand bien même elle se moque complètement de savoir que mon père va être plus riche qu'il ne l'est déjà (à la différence de mon père, ma mère n'est pas du tout portée sur l'argent, c'est à se demander comment ils font pour vivre ensemble depuis des années tant leurs conceptions de la vie et leurs sens des priorités semblent opposés).

Le repas suit son cours, mes parents parlent de tout et de rien. Et moi je me tais, attendant le moment propice pour leur faire part de mon projet. En réalité, il n'y a pas vraiment de moment plus propice qu'un autre. Que nous mangions un plat de pâte, du fromage, ou bien la salade de fruit prévue pour le dessert ne devrait pas avoir une grande incidence sur le déroulement de la discussion ni d'ailleurs sur son issue. Si je tarde à me manifester, c'est en fait parce que j'appréhende. Je tiens tout particulièrement à être présent aux côtés de Victoire quand elle va chanter pour la première fois en public, et je crains que mon père ne m'en empêche. Mais il faut bien que je me jette à l'eau d'une manière ou d'une autre. Alors, quand nous en sommes au fromage, je prends mon courage à deux mains et je me lance.

_ J'ai l'intention de participer à la semaine de la musique organisée par le lycée.

Ma mère ne peut réfréner un sourire tant elle se réjouit de savoir que j'envisage de remettre les doigts sur un piano. Au cours des leçons qu'elle me donnait autrefois, elle n'avait de cesse de me dire que j'étais doué et que si je le souhaitais, je pourrais faire de la pratique de cet instrument mon métier. Ce rêve de me voir marcher dans ses pas était avant tout le sien. A l'époque, j'étais de toute façon trop petit pour avoir une idée de ce que je ferai de ma vie d'adulte. A présent que j'y réfléchis, je me dis qu'il y a pire que d'être pianiste pour gagner sa vie, et que cela pourrait me plaire. Mais ça n'a pas grande importance puisque mon avenir professionnel est déjà tout tracé : dès l'année prochaine je partirai faire mon droit dans une grande école aux États-Unis afin de me préparer à prendre la suite de mon père à la tête de Cari Industry, l'entreprise qu'il a créée en partant de rien il y a une trentaine d'années et qu'il a développée jusqu'à en faire l'une des sociétés les plus prospères du pays.

En parlant de mon père. Le voile de mécontentement qui couvre son visage offre un contraste saisissant avec la joie de ma mère. J'en déduis qu'il ne voit pas d'un très bon oeil mon projet musical, ce qui n'est pas vraiment pour me surprendre.

_ Je crois que je t'ai mal compris. Tu as l'intention de quoi ? me demande-t-il d'un ton sec.

_ Je vais jouer du piano lors de la semaine de la musique, je lui répète, en tâchant d'y mettre de la conviction.