Chapitre 35 (Théo)

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Il est près de 19h30 quand je quitte la maison de Victoire. Ses parents m'ont proposé de rester manger avec eux mais les miens m'ayant déjà laissé plusieurs messages pour me dire qu'ils m'attendaient pour dîner, j'ai pensé qu'il valait mieux que je rentre.

Après avoir déposé un dernier baiser sur les lèvres de Victoire, je traverse le jardin pour me diriger vers le portail. Alors que je marche désormais le long d'une rue, j'entends une voix qui m'appelle. Je n'en suis pas sûr mais il me semble que cette voix appartient à la mère de Victoire. Je me retourne pour en avoir le cœur net et je me surprends à constater que c'est bien elle. Elle vient me rejoindre d'un pas pressé. Son visage est couvert d'un air que je ne lui ai jamais connu, un air de gratitude.

_ Théo, je voulais vous dire. Je suis désolée d'avoir douté de vous. Je vous ai jugé un peu vite. Je vous ai pris pour un de ses gamins qui draguent les filles pour s'amuser. Je n'ai pas su voir ce qui crevait pourtant les yeux. Vous, vous ne jouez pas, votre amour pour ma fille est sincère et fort, assez fort pour entendre ce qu'elle vient de vous avouer et pour rester à ses côtés malgré tout. Merci de la soutenir. Ça compte beaucoup pour elle et ça compte aussi beaucoup pour nous.

Je suis d'autant plus touché par ces mots que mes relations avec la mère de Victoire étaient assez mal parties. Je me sens flatté et heureux de voir qu'elle a changé d'avis sur mon compte et que je suis parvenu à gagner son estime.

_ C'est normal madame. Quel genre de petit ami serais-je si je fuyais quand celle que j'aime a le plus besoin de moi ? je lui réponds spontanément.

En guise de réponse, elle m'adresse un sourire chaleureux et commence à s'éloigner. Elle a déjà parcouru plusieurs mètres quand je lui lance, comme un cri du cœur :

_ Elle va s'en sortir, elle va forcément s'en sortir !

Elle s'arrête et tourne la tête vers moi.

_ On l'espère tous, me dit-elle d'une voix tremblante.

Elle passe un doigt sous son œil pour essuyer une larme qui vient de s'en échapper et reprend son chemin.

***

Il y a du monde sur les rives du lac d'Annecy à cette heure-ci. Les routes grouillent de voitures à l'arrêt dans lesquelles des automobilistes impatients de rentrer chez eux maltraitent leur klaxon, comme si faire du bruit allaient faire disparaître les bouchons. Quant aux voies piétonnes, elles sont envahies par une foule de courageux qui ont décidé de braver le froid de ce soir d'hiver pour s'offrir une petite balade digestive. Il y a du monde et pourtant j'ai l'impression d'être seul au monde tant le souci que je me fais est grand.

Je me suis efforcé de faire bonne figure devant Victoire. Elle devait déjà suffisamment souffrir de sa situation pour que je ne lui inflige pas en plus ma propre souffrance. J'ai tenu à être fort devant elle, à me montrer déterminé et optimiste. C'était la moindre des choses que je pouvais faire. Je me devais d'être à la hauteur de son courage en me montrant courageux à mon tour. Je voulais être rassurant car je m'imaginais que c'était l'attitude qu'elle espérait de moi. J'ai réussi à donner l'illusion. Victoire m'a remercié pour ma présence, sa mère m'a remercié de la soutenir. Et moi je me sens comme un imposteur parce que la vérité, c'est que ce que Victoire vient de me confier me terrifie. Je suis terrifié à l'idée de perdre celle que j'aime. Et le pire, c'est que la peur que j'éprouve est purement égoïste. J'ai peur parce que je ne sais pas comment je ferais pour vivre si elle venait à disparaître. Mon cœur l'aime trop pour admettre que le sien puisse s'arrêter. Mon cœur l'aime trop pour continuer à battre si le sien ne bat plus. Je ne suis pas digne des remerciements que l'on m'a adressés ce soir. Je n'en suis pas digne parce que je ne suis qu'un lâche. Elle est là la vérité. Elle me fait honte, elle me fait me sentir coupable. Mais elle est ainsi et je n'y peux rien.

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant