Chapitre 16 (Victoire)

729 66 11
                                    

Théo me fixe d'un oeil impatient. Cela fait plusieurs secondes qu'il a fini de parler. Il m'a demandé si je consentais à lui donner une chance de me prouver que l'intérêt qu'il me porte est bel et bien sincère, et il attend ma réponse. Une réponse qui tarde à venir. Et pour cause, je ne sais pas quoi lui répondre.

Son monologue aux faux airs de déclaration a eu raison de ma détermination à le détester. J'avais juré que rien de ce qu'il pourrait me dire ne me ferait lui pardonner son intrusion lors de mon cours de chant mais le fait est qu'il a su trouver les mots justes pour me donner l'envie de lui pardonner. Avant lui, jamais un garçon ne m'avait ainsi parlé à coeur ouvert. Avant lui, jamais un garçon n'avait ouvertement demandé à me fréquenter. Avant lui, jamais un garçon ne m'avait dit me préférer à ma soeur. A bien des égards, Théo est effectivement unique en son genre. Je ne peux pas rester insensible à tous les efforts qu'il déploie pour avoir droit à ma compagnie. Il est quand même allé jusqu'à se promener avec un parapluie en plein soleil dans le seul but d'attirer mon attention. Si ça ce n'est pas une marque d'intérêt !

Le repousser après ce qu'il vient de me dire serait ne pas avoir de coeur. Or moi j'ai un coeur, même s'il ne fonctionne pas comme il devrait. Et mon cœur me dicte de donner une chance à ce garçon qui l'a bien méritée. Mais ma raison, encore elle, m'incite à la prudence et me hurle de me tenir éloignée de lui. Le coeur ou la raison, il me faut donc choisir. Et pour une fois, la fille raisonnable que je suis décide de ne pas être raisonnable. Je ne veux pas mourir avec le sentiment de n'avoir jamais vraiment vécu et mon instinct, celui-là même que j'ignore depuis toujours ou presque, me laisse à penser que Théo est le seul à pouvoir me faire me sentir vivante. Lui pose sur moi un regard différent de celui de mes proches, un regard dépourvu de chagrin et de pitié. Lui me voit comme une jeune femme, pas comme une malade. C'est pourquoi je me fais la promesse que, quoi qu'il advienne de ma relation avec lui, jamais je ne lui dirai pour ma cardiopathie car je ne veux pas que son regard sur moi change. Et pour ce qui est de cette chance qu'il me réclame, je vais la lui donner. Oui, au diable la raison, c'est à mon cœur de me guider maintenant.

Je ménage le suspense encore un peu, non pas que je continue à douter de ma réponse mais plutôt parce-que je me plais à voir Théo suspendu à mes lèvres. Puis je le libère enfin quand je lui dis :

_ C'est d'accord, je veux bien te donner une chance mais ce sera la seule alors ne la gâche pas.

Tandis que le visage de Théo s'étire dans un sourire si grand que je me demande s'il ne va pas lui déchirer le joues, je m'empresse d'ajouter pour prévenir tout emballement de sa part :

_ Et ne te mets pas à t'imaginer des trucs. On va se fréquenter, d'accord. Mais ça ne veut pas dire que l'on va devenir amis.

Sans se départir de son sourire, il plonge les mains dans ses poches et me lance en retour :

_ Aucun souci. De toute façon, j'y ai bien réfléchi et je ne veux pas être ton ami.

Il ne veut pas être mon ami. Qu'est-ce qu'il raconte encore ? A quoi bon faire des pieds et des mains pour passer du temps avec moi si ce n'est pas pour devenir mon ami ? Ça n'a pas de sens. Je commence doucement mais sûrement à penser qu'il se moque de moi depuis le début. Mais bientôt il précise sa pensée, faisant preuve pour ce faire d'un naturel totalement désarmant :

_ En fait, je crois que toi et moi on va être beaucoup plus que de simples amis.

Satisfait de l'effet suscité par ses mots, il me gratifie d'un clin d'œil et tout en commençant à s'éloigner dans le couloir pour se diriger vers la sortie de la salle omnisport, il s'écrie :

_ On se voit demain sur le chemin du lycée !

Parvenu au bout du couloir, il bifurque sur la gauche et disparaît de mon champ de vision. Longuement, je reste immobile, en proie à un vif désordre émotionnel. Je n'ai de cesse de me refaire le fil de notre discussion et les dernières paroles de Théo tournent en boucle de mon esprit troublé. Qu'a-t-il voulu dire exactement par plus que de simples amis ? La réponse à cette question a beau paraître évidente, je refuse de l'admettre. Ou plutôt je ne peux pas l'admettre, Théo ne peut pas éprouver plus que de l'amitié pour moi, car il n'est pas de lien plus fort entre deux personnes que l'amitié, si ce n'est un, l'amour. Or Théo ne peut pas être amoureux de moi, je le sais aussi sûrement que je sais que la terre est ronde.

***

Quand je réapparais dans la salle de chant après l'avoir quittée de manière spectaculaire quelques instants plus tôt, j'ai droit à un flot de questions de mes camarades. Tour à tour, on me demande :

Qui est ce garçon ? Juste un gars du lycée.

C'est ton copain ? Bien sûr que non !

Mais ça pourrait le devenir ?

Cette fois, je ne réponds pas. Marre de cet interrogatoire. Ce qui s'est passé entre Théo et moi ne concerne que nous. De quoi ils se mêlent tous ? Ce ne sont pas leurs affaires ! Alors je les renvoie avec fermeté à l'étude de leurs partitions et je reprends ma place sur scène pour une nouvelle interprétation de « The Scientist ». Le cours terminé, c'est au tour de la professeure de venir me questionner. Elle s'inquiète de savoir si Théo me cause des problèmes. Elle insiste sur le fait que si c'est le cas, il faut que j'en parle à mes parents. Je songe que ma professeure de chant ferait mieux de s'en tenir à l'enseignement de la musique, parce-que pour ce qui est du reste elle est franchement de mauvais conseils. Comme si j'allais parler à mes parents de Théo ! S'ils apprenaient que j'ai l'intention de fréquenter un garçon, ils iraient immédiatement demander une injonction d'éloignement contre lui au commissariat le plus proche et ils m'obligeraient à arrêter le lycée pour être bien sûr que je ne le revoie jamais. Je me contente donc de répondre à ma professeure que Théo ne me pose aucun problème et que tout s'est arrangé entre nous. Puis je me dépêche de quitter la salle avant qu'il ne lui prenne l'envie de revenir à la charge.

Comme toujours, ma mère est venue me chercher. Je la rejoins dans la voiture et tandis qu'elle démarre, elle me lance :

_ Comment s'est passé ton cours ?

Je lui assure qu'il s'est bien passé, faisant ainsi mine d'avoir vécu un mercredi soir comme les autres, oubliant délibérément d'évoquer l'irruption de Théo dans la salle de musique et la discussion qui s'en est suivie. Je me réjouis que ma mère me parle à nouveau, elle qui ne m'avait plus adressé un mot depuis notre dispute de l'autre jour. Il me reste trop peu de temps devant moi pour le passer à lui en vouloir et je suis soulagée d'entrevoir l'espoir d'une réconciliation, même si cela n'efface pas notre désaccord qui resurgira d'ici peu à n'en pas douter.

Si je me rabiboche avec maman, on ne peut pas en dire autant de ma soeur qui semble quant à elle bien résolue à continuer à lui faire la tête. Preuve en est, elle passera le dîner murée dans le silence, l'humeur mauvaise et l'air sombre. A l'évidence, ça ne sera pas encore ce soir que nous retrouverons l'unité familiale...

J'espère que ce chapitre vous a plu :)
La suite dès mardi ;)

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant