Chapitre 46 (Théo)

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Le public s'est tu. Les spectateurs sont sous le choc. Ils étaient venus voir ce championnat avec la conviction qu'ils assisteraient à un nouveau triomphe de Théo Cari. Jamais ils n'auraient imaginé avant cette finale que le champion en titre serait déposséder de sa couronne. Et pourtant c'est bien ce qu'il vient de se passer. Nolan Rive a réussi à me faire chuter de mon piédestal. Il m'a vaincu. On disait de moi que j'étais invincible mais lui est parvenu à démontrer le contraire. Il est le nouveau champion de France de boxe. Il n'en revient pas. Il lui faut quelques secondes pour assimiler la chose. Et quand il prend enfin conscience de ce qu'il a accompli, il exulte. Il court partout sur le ring. Puis il saute par dessus les cordes et va se jeter dans les bras de son coach. Il enlace ensuite sa petite amie, une certaine Stella Feri, boxeuse elle aussi, qui est devenue vice-championne de France un peu plus tôt dans l'après-midi. Et enfin, il étreint son père qui est en pleurs tant l'émotion de voir son fils sacré est grande.

La joie de Nolan tranche de manière saisissante avec mon désarroi. Je suis accroupi au centre du ring. L'air hagard, je fixe le néant dans le blanc des yeux. Je me sens comme un étranger sur ce ring que je connais pourtant si bien. Je suis sous le coup d'une immense déception, une déception telle que je n'ai pas le souvenir d'en avoir connue. Si je le pouvais, je me volatiliserais dans un coin isolé où je pourrais trouver une solitude salvatrice pour consommer mon tourment plutôt que de devoir affronter tous ces regards médusés qui sont braqués sur moi et qui me rappellent à l'échec cuisant que je viens d'endurer.

Il y a d'abord cette défaite, la première de ma carrière de sportif, que j'ai du mal à digérer. Mais il y a surtout cette promesse que j'ai faite à Victoire et que je n'ai pas été en mesure de tenir. Tout ça me cause une souffrance morale terrible et à cet instant, je dois prendre sur moi pour ne pas craquer et m'effondrer. Dans mon éducation, mes parents ont beaucoup insisté sur l'importance de la dignité. Alors j'essaie de rester digne dans ce moment douloureux. Il n'est pas question que je laisse transparaître ma faiblesse devant tous ces gens. Je n'ai pas su gagner ce combat, je me dois au moins d'être fort dans l'adversité.

Je prends sur moi. Je me redresse et je me dirige vers Nolan qui est toujours en train de fêter son titre avec les siens. Me voyant approcher, il vient à ma rencontre. Nous partageons un long regard empreint d'une admiration réciproque. Puis nous échangeons une accolade qui témoigne du profond respect que nous avons l'un pour l'autre. Nolan est mon plus grand adversaire. L'affronter est à la fois un redoutable défi et une grande fierté. Même si j'aurais préféré une autre issue à ce combat, je suis heureux pour lui. Il mérite ce titre car aujourd'hui c'était bel et bien lui le plus fort sur le ring. Je le lui dis :

_ Félicitations pour cette victoire Nolan. Tu fais un très beau champion de France. Savoure cette première médaille comme il se doit, c'est un moment important et symbolique dans une carrière de sportif.

Il acquiesce d'un signe de tête. Tandis que je commence à m'éloigner, il me retient :

_ Théo, je veux que tu saches que j'ai été honoré de t'affronter aujourd'hui. Si je me suis entraîné si dur cette année, si j'ai pu atteindre ce niveau, c'est parce que j'avais en moi cette motivation de vouloir être à la hauteur du grand champion que tu es. Tu as la classe Théo, la grande classe. J'ai hâte de pouvoir à nouveau me mesurer à toi. J'ai encore beaucoup à apprendre de toi.

Ces mots me touchent tout particulièrement parce qu'ils sont plein de sincérité. Nolan ne les prononce pas par simple devoir de politesse. Il pense chacune de ces paroles. Recevoir cet hommage de mon meilleur rival me flatte et me procure un peu de réconfort.

Je quitte le ring sous les ovations de la foule qui ne semble pas me tenir rigueur de la perte de mon titre. Je traverse la salle et m'engage dans un étroit couloir qui me mène jusqu'aux vestiaires. J'entre en prenant soin de claquer la porte dans mon sillage. A présent qu'il n'y a plus personne pour me voir, j'abandonne la dignité que je m'imposais et je m'effondre. Je me laisse glisser le long d'un mur pour me retrouver assis à même le carrelage. Là, je relâche toute la pression accumulée ces derniers jours. J'enfouis mon visage dans mes gants de boxe et je laisse libre cours à ma désillusion. Quand la porte du vestiaire s'ouvre un instant plus tard et que mon père fait son apparition, il est trop tard pour que je puisse sauver les apparences. Pour lui qui a toujours exigé de moi que je me montre fort, pour lui qui m'a toujours vu fort et sûr de moi, me trouver là, assis à même le sol et les yeux rougis par les sanglots que je tente en vain de réprimer, est une chose incroyable.

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant