Chapitre 7 (Victoire)

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Au moment du dîner, quand mes parents me demandent comment s'est passée ma journée, je leur dis qu'elle a été d'un ennui total, comme on peut l'attendre d'une journée de rentrée, et je me garde bien d'évoquer les évènements du self car je suis certaine que s'ils apprennent que j'ai failli me battre avec un autre élève ils ne voudront plus jamais que je remette les pieds au lycée. Ma mère s'inquiète ensuite de savoir si je me sens fatiguée ce à quoi je réponds, non sans éprouver un certain agacement de la voir me traiter encore et toujours comme la pauvre fille malade et fragile que je suis pourtant bel et bien :

_ Je viens de passer huit heures le cul posé sur une chaise à écouter des profs me chanter des berceuses alors je ne vois pas comment je pourrais être fatiguée.

_ Je suis sérieuse, renchérit ma mère qui n'apprécie pas que je prenne les choses avec tant de légèreté. Il faut que tu sois attentive au moindre signe de fatigue, ça pourrait signifier que...

... ma maladie s'aggrave. Je sais ça et j'en ai marre d'entendre ma mère me rappeler sans cesse l'épée de Damoclès que j'ai au dessus de la tête. Alors je ne la laisse pas aller au bout de sa phrase et lui lance :

_ Promis, je vous dirai si je me sens fatiguée mais pour l'instant ce n'est pas le cas.

Même si elle n'est pas complètement rassurée, ma mère acquiesce d'un hochement de tête et n'insiste pas. Mais quand ce n'est pas l'une c'est l'autre. Et mon père prend aussitôt le relais. Il m'assaille à son tour de questions sur ma journée auxquelles je réponds contrainte et forcée. L'interrogatoire suit son cours quand soudain ma soeur Julie s'arrache au silence qu'elle s'est imposée jusque-là. Elle se lance dans un monologue destiné à faire comprendre à mes parents qu'elle aimerait qu'ils s'intéressent un peu à elle plutôt que de concentrer toute leur attention sur moi :

_ Et toi Julie, comment s'est passée ta rentrée ? Bien merci. Tu as été contente de retrouver tes amis ? Oui, Emma m'avait tellement manqué !

Si j'ai remarqué son petit numéro, ça ne semble pas être le cas de mes parents qui sont trop occupés à débattre du régime alimentaire qu'il faudrait que je suive pour optimiser mes chances de guérison (je n'ose pas leur rappeler que ce n'est pas de courgette, de potiron ou de je ne sais quel autre légume dont j'ai besoin mais d'un nouveau coeur ; même si je sais qu'une alimentation équilibrée ne peut que me faire du bien, je n'apprécie pas qu'ils poussent leur contrôle de ma vie jusqu'au contenu de mon assiette). Ma soeur ajoute ces quelques mots en guise de provocation, dans l'espoir d'obtenir enfin une réaction de leur part :

_ Et comment va Paul ? Très bien. A l'intercours, nous sommes allés nous enfermer dans le laboratoire de biologie et nous avons fait l'amour. Si vous ne me croyez pas, demandez au squelette en plastique, il a tout vu.

Elle a beau avoir mis les formes pour se faire remarquer, elle reste encore invisible au yeux de nos parents. Alors, ne sachant plus quoi faire d'autre, elle se met à crier :

_ Ce n'est pas vrai ! Je pourrais vous dire que j'ai l'intention d'aller me jeter sous un train que vous n'en auriez rien à foutre !

Cette fois, nos parents tournent la tête vers elle et la fixent d'un air interloqué.

_ Qu'est-ce qui te prend ma chérie ? lui demande maman.

_ Ce qui me prend ? C'est qu'il n'y en a que pour Victoire ! Vous ne vous intéressez qu'à elle, c'est comme si moi je n'existais pas ! s'exclame Julie, hors d'elle.

Ma mère, qui n'a jamais su comment s'y prendre avec ma soeur, fait exactement ce qu'il ne faut surtout pas faire : rejeter la faute sur elle.

_ Oh ça va Julie ! Tu as passé l'âge de faire des crises de jalousie. On a suffisamment de problèmes en ce moment pour ne pas avoir à supporter tes caprices de gamine ! Il serait temps que tu grandisses un peu !

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant