Chapitre 24 (Théo)

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Au carrefour de notre rencontre, je trépigne d'impatience en attendant Victoire. Je suis trop pressé de lui annoncer la bonne nouvelle. Et dès lors que je l'aperçois de l'autre côté de la route, je cours la rejoindre. Arrivé à sa hauteur, je la salue chaleureusement en retour de quoi elle se dresse sur la pointe des pieds et vient déposer un baiser sur ma joue. C'est la première fois qu'elle m'embrasse de la sorte. Je m'en sens flatté et, il faut bien le dire, vraiment très heureux. J'y vois une preuve de plus que nous nous sommes rapprochés, et j'espère bien que notre complicité va encore se renforcer dans les jours qui viennent.

Nous marchons côte à côte dans un drôle de silence lorsque je lui dis :

_ Mes parents sont d'accord pour que je participe à la semaine de la musique.

Victoire accueille cette affirmation d'un air renfrogné. Y voyant un signe de déception, je l'interroge immédiatement :

_ Qu'est-ce qu'il y a ?

_ Oh rien, c'est juste que je comptais sur ton père pour m'éviter de chanter devant le lycée. S'il avait refusé que tu joues du piano, je me serais retrouvée sans musicien et j'aurais été dans l'impossibilité de me produire sur scène. Quel soulagement ça aurait été !

Mon premier réflexe est de penser qu'elle a changé d'avis et qu'elle ne souhaite plus faire le duo avec moi. Mais le sourire qu'elle m'adresse ensuite a bien vite fait de m'ôter cette idée de la tête. Je comprends qu'elle est en train de me charrier.

_ Sérieusement, comment tu as fait pour convaincre ton père ?

_ Je n'ai rien eu à faire. Il a tout de suite trouvé ce projet génial ! je feins d'abord dans un clin d'oeil.

_ C'est vrai ? me demande-t-elle, interloquée.

_ En fait non. Il a détesté l'idée, ce qui était prévisible. Mais ma mère et moi nous lui avons fait comprendre qu'il n'aurait pas d'autre choix que de me laisser jouer. Pour une fois, ce n'est pas lui qui a eu le dernier mot et je me réjouis de pouvoir enfin faire quelque chose en me passant de son autorisation.

Elle profite de cette confidence que je lui fais pour me parler de sa mère. Elle me raconte la main mise qu'elle a sur sa vie, son obstination à décider systématiquement à sa place, ne lui laissant plus aucune liberté d'action. Je suis frappé de voir combien le portrait qu'elle fait d'elle est proche de celui que je fais moi-même de mon père. Je songe que nous vivons plus ou moins la même chose. Nous souffrons tous les deux du contrôle exercé par l'un de nos parents sur nos vies et nous aspirons tous les deux à nous émanciper de cette autorité étouffante.

Pour illustrer son propos, elle en vient à m'expliquer la scène que sa mère lui a faite après nous avoir surpris ensemble.

_ Quand je l'ai rejointe dans la voiture hier soir, je l'ai trouvée dans tous ses états. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'elle s'était mise en tête que nous sortions ensemble ! Non mais tu te rends compte ? me confie-t-elle ainsi, encore sur les nerfs rien que d'y repenser.

_ Eh ben, j'ai dû lui faire une très belle impression pour qu'elle réagisse aussi mal en me voyant avec toi !

_ Ça tu peux le dire. Tu lui as fait belle impression !

_ Et je suppose que tu lui as dit que nous ne sommes pas ensemble. En tout cas pas au sens où elle l'entendait...

_ Évidemment, je me suis empressée de le faire.

_ Et je suppose aussi que tu lui as dit que tu n'avais aucune intention de faire de moi ton petit ami. Ni maintenant, ni jamais...

_ Il aurait assurément fallu que je le lui dise, pour la rassurer.

Je ne manque pas de relever l'emploi du conditionnel.

_ Aurait ? Ça signifie que ce n'est pas ce que tu lui as dit ?

_ Pas exactement, je le crains.

La discussion devient de plus en plus intéressante. Je me demande où va nous mener ce jeu de questions / réponses. A une déclaration ? Rien n'est moins sûr mais je veux en rêver !

_ Et que lui as-tu dit alors ? je la questionne encore avec un intérêt de plus en plus vif.

_ La vérité, voilà tout.

_ Et cette vérité, quelle est-elle ?

_ Tu aimerais la connaître, hein ?

_ J'aimerais beaucoup, oui. Donc, tu veux bien me la dire ?

_ Non.

_Comment ça non ? Pourquoi tu ne veux pas me la dire ?

_ Parce que si je le faisais, tu ne t'en remettrais pas.

_Qu'est-ce que je suis censé comprendre ?

_ A toi de me le dire. Tu lis Alfred de Musset, tu es un garçon brillant. Tu devrais pouvoir deviner.

Sur cette réponse pour le moins frustrante, elle presse le pas et prend quelques mètres d'avance sur moi. J'accélère à mon tour mon allure de marche pour revenir à sa hauteur. De nouveau, je lui demande de me dire cette vérité qu'elle a décidé de garder pour elle et de nouveau, elle n'en fait rien. Elle me répète que je n'ai qu'à la deviner par moi-même. Si je le pouvais, je le ferais. Seulement le fait est que j'en suis bien incapable car Victoire est un mystère pour moi. Elle en est parfaitement consciente et elle entretient volontiers ce mystère. Mais je ne vais pas lui jeter la pierre car après tout c'est son côté énigmatique qui m'a attiré chez elle lors de notre première rencontre.

Après quelques secondes de silence, je lui fais remarquer :

_ Bon, même si tu ne veux pas me révéler les confidences que tu as faites sur moi à tes parents, je n'ai pas tout perdu. Tu as tout de même dit que j'étais brillant, je n'ai pas rêvé ! Et ce alors qu'hier encore tu me prenais pour une brute sans cervelle. Que de chemin parcouru ! A ce rythme-là dans quelques jours tu me considéreras comme l'homme idéal !

_ L'homme idéal, hein ? Rien que ça ! Tu es décidément trop modeste.

Nous éclatons tous les deux d'un rire sonore et l'humeur joyeuse, nous poursuivons notre route en direction du lycée. Au bout d'un instant, Victoire me lance :

_ Je ne sais pas toi car après tout tu aimes peut-être improviser mais moi j'aime quand les choses sont un minimum maîtrisées, tu vois ? Et je trouve qu'il serait bien de prévoir quelques répétitions pour que nous puissions nous préparer et ainsi éviter que notre prestation ne tourne au fiasco...

_ Des répétions ? Oh bien sûr oui. J'y ai pensé, figure-toi.

_ Tu y as pensé ?

_ Absolument. Je me suis dit que nous pourrions répéter dans la salle de musique de ma mère, j'ai d'ores et déjà obtenu son accord. Elle serait ravie de nous aider à nous préparer, et tout aussi ravie de faire ta connaissance. Elle a proposé que nous venions les samedis après-midi. Ça te conviendrait ?

_ Eh bien oui, si ça ne gêne pas ta mère.

_ Ça ne la gêne pas du tout puisque c'est elle qui propose.

Quand nous pénétrons dans le hall du lycée et tandis qu'elle s'apprête à me quitter pour se rendre à son cours, je la retiens :

_ Et Vic', encore une chose !

_ Oui ? s'enquiert-elle en se retournant pour me faire face.

_ Arrête de t'en faire. Notre prestation ne sera pas un fiasco. Elle sera un triomphe !

_ Tu exagères encore !

_ Je n'exagère pas. Elle sera un triomphe, j'en suis convaincu.

Elle m'adresse un sourire rayonnant avant de disparaitre au détour d'un couloir.

J'espère que ce chapitre vous a plu :)
La suite dès mardi ;)

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