Chapitre 22 (Victoire)

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Afin de montrer à ma mère combien ma détermination est forte, j'ai décidé de faire une annonce en bonne et due forme au reste de la famille.

Au cours du dîner, entre le plat et le dessert, je profite d'un instant de silence pour prendre la parole. D'un ton solennel, comme le ferait un politique qui officialise son entrée en campagne pour les prochaines élections, je fais part de mon intention de participer à la semaine de la musique du lycée. Mon père ne cache pas son enthousiasme, pour ne pas dire carrément qu'il flirte avec l'euphorie. Ma soeur, en revanche, ne semble pas enchantée par la nouvelle, c'est le moins que l'on puisse dire. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle craint que je me ridiculise ce qui, dans un affreux lien de cause à effet, viendrait nécessairement ternir sa précieuse réputation au lycée ; ou si au contraire elle s'inquiète du fait que je puisse lui voler la vedette le temps d'une chanson. Quant à ma mère, elle ne s'en remet toujours pas. Je l'imagine volontiers tiraillée entre son besoin irrépressible de m'interdire de fréquenter Théo (il en va de son autorité tout de même) et la réalisation de son vieux rêve, celui de me voir triompher de ma timidité en chantant sur une scène devant du public. Il faut croire que c'est son vieux rêve qui l'emporte car elle ne trouve rien à redire à mon annonce. Du moins, elle ne dit rien pour l'instant.

Ma soeur sort soudain de son mutisme et se fend d'une remarque :

_ Tu sais que cette année il faut être deux pour participer à la semaine de la musique ? Non parce que j'aime autant te le dire tout de suite : ne compte pas sur moi pour faire un duo avec toi !

Comment peut-elle croire sérieusement que je serais prête à faire un duo avec elle ? Sans vouloir être méchante, c'est la pire musicienne que je connaisse. Je garde un souvenir atroce de la seule fois où je l'ai entendue jouer du violon. C'était à la kermesse organisée par notre collège. Lorsqu'elle avait le malheur de frotter l'archet sur les cordes, le son qui en résultait était tellement épouvantable que l'on aurait pu croire qu'elle était en train de racler le fond d'une casserole avec une fourchette. Fort heureusement, elle a choisi d'abandonner la musique après seulement une année de pratique, ça a été la meilleure décision de sa jeune vie, et je prie chaque jour le ciel pour qu'elle n'ait jamais envie de revenir dessus.

_ Ne t'en fais pas, je ne comptais pas te proposer un duo avec moi, je lui assure, me gardant bien de faire des commentaires sur son niveau musical.

_ Ça va alors, me dit-elle, tout aussi soulagée que je le suis moi-même.

Je pense ainsi m'en sortir à bon compte mais voilà que Julie me pose précisément la question qu'il ne fallait surtout pas poser :

_ Puisque tu ne mises pas sur un duo avec moi, qui sera ton binôme ?

Sa curiosité maladive a encore frappé. Je suis profondément embarrassée pour trouver quoi lui répondre. Si j'avais su que la discussion prendrait cette tournure, et à l'évidence j'aurais dû me douter que cela pourrait être le cas, jamais je n'aurais abordé le sujet de ma participation à la semaine de la musique lors de ce dîner.

Je ne peux quand même pas dire à ma soeur que mon binôme n'est autre que le garçon qui l'a éconduite. Ça non, je ne peux pas le dire. Mais voilà que ma mère a la très mauvaise idée de s'en charger pour moi.

_ Il s'appelle Théo Cari, révèle-t-elle.

_ Théo Cari ? répète aussitôt Julie d'une voix empreinte de sidération.

Elle se tourne vers moi et me questionne de plus belle :

_ Vic', c'est vrai ce qu'elle dit ? Tu vas chanter avec Théo Cari ?

A cet instant précis, j'aimerais avoir la cape d'invisibilité d'Harry Potter pour disparaître. Mais faute d'être une sorcière capable d'accomplir un tel tour de magie, je n'ai d'autre choix que de faire face à cette situation pour le moins périlleuse. Malgré moi, je réponds donc à Julie :

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant