Malgré les efforts de mon père pour me pousser à l'optimisme, je n'ai pu faire autrement que de continuer à broyer du noir. De tout le temps qu'a duré le trajet du retour, soit pendant près de cinq heures, je n'ai pas dit un mot. Je suis resté parfaitement immobile, la tête reposant contre la vitre et les yeux rivés sur le paysage qui défilait à vive allure. Mon père, qui conduisait à côté de moi, n'a pas cherché à m'arracher à ce mutisme. Nous avions déjà parlé, beaucoup parlé. Et sans doute estimait-il qu'à présent, j'avais besoin de ce silence pour me retrouver seul avec moi-même et rechercher l'énergie nécessaire pour rester debout malgré ma désillusion de la journée et mon incapacité à tenir la promesse que j'avais faite à Victoire. Je remuais cette défaite que je venais de me voir infliger, et chaque seconde elle me pesait un peu plus.
Arrivé à Annecy, ma première intention était de me rendre au chevet de Victoire à l'hôpital. Mais il était tard, près de 21h déjà, et les visites n'étaient plus autorisées après 18h. J'ai dû me résoudre à prendre mon mal en patience et attendre le lendemain. La nuit qui a suivi a été terrible. L'une des pires que j'aie vécue. Je l'ai passée à me morfondre plutôt qu'à dormir. Tant et si bien que quand le soleil s'est enfin levé, je me sentais totalement épuisé. Je crois que c'était le contrecoup des semaines éprouvantes que je venais de traverser qui se manifestait. La perspective des championnats de France m'avait maintenu dans une forme relative, et maintenant qu'ils étaient passés j'étais rattrapé par toute la fatigue accumulée depuis l'opération de Victoire.
Après avoir pris mon petit-déjeuner avec ma mère qui, comme mon père la veille, a œuvré par de douces paroles à tenter de m'apporter un peu de réconfort, j'ai pris la direction de l'hôpital. Mes parents m'ont proposé de m'y accompagner, ou au moins de m'y déposer. J'ai refusé. Je préférais y aller seul à pied. Je ressentais le besoin de marcher pour tenter d'évacuer cette appréhension qui chaque fois que je m'en allais voir Victoire m'envahissait. Ça me fait mal de le reconnaître, mais je ne peux pas dire que j'étais heureux d'aller au chevet de Victoire. En réalité, ces visites que je lui rendais plusieurs fois par semaine étaient davantage synonyme de souffrance que d'autre chose. C'était chaque fois une terrible épreuve que de pénétrer dans cette chambre à l'odeur nauséabonde et d'apercevoir celle que j'aime étendue sous les draps blancs, le corps immobile et le visage figé dans un masque de glace. Le plus fou, c'est que même ainsi elle était belle. Belle mais d'une beauté qui me faisait peur car elle était froide et inexpressive. C'était une beauté morte qui n'avait plus rien à voir avec l'image que j'avais de Victoire. L'image d'une fille rayonnante de vie, l'image que je voulais garder d'elle.
Ce qui me pesait le plus dans ces visites, c'était le sentiment d'impuissance qui m'accablait. Je ne me sentais jamais aussi faible que quand je pénétrais dans cette chambre. J'avais Victoire tout près de moi, je pouvais la toucher, l'enlacer. Et pourtant je savais qu'elle s'éloignait chaque seconde un peu plus de moi. A mesure qu'elle s'enfonçait plus profondément dans sa torpeur, la distance entre nous grandissait et je ne pouvais rien y faire. Je n'avais aucun moyen de la retenir, je ne savais pas comment la ramener près de moi, dans notre monde. Alors je faisais la seule chose qu'il m'était possible de faire. Je lui parlais, en espérant que ma voix parviendrait jusqu'à son esprit, où que ce dernier se trouve.
Et aujourd'hui, comme d'habitude, je parle à Victoire. Je lui parle et je lui demande pardon.
_ Hier je n'ai pas pu venir te voir parce que j'étais aux championnats de France. Tu te souviens que je t'avais fait une promesse. Je t'ai promis de gagner ces championnats pour toi et de te ramener la médaille d'or.
Ma voix se noue tandis que je poursuis :
_ J'ai tout fait pour l'emporter, vraiment tout. Mais je n'ai pas réussi. J'ai été battu en finale par meilleur que moi. J'ai échoué à tenir ma promesse et aujourd'hui je viens te voir les mains vides et le cœur gros. Je suis désolé Vic'. Si tu savais à quel point je suis désolé. Je n'ai pas été à la hauteur. Je voulais tellement gagner pour toi. Je n'y suis pas parvenu. J'ai manqué de force. Je ne cherche pas à me trouver des excuses. Tu me connais, ce n'est pas le genre de la maison, je suis bien trop fier pour tenter de me décharger de mes responsabilités. Mais je dois dire que ça fait quelques temps que je ne suis pas au top de ma forme. Depuis que tu es étendue dans ce lit, tout est plus compliqué. Le monde merveilleux que nous nous sommes inventés tous les deux me semble soudain totalement désoeuvré. Le bleu du ciel est fade. Le chant des oiseaux est faux. Le soleil ne rayonne plus au dessus de ma tête, sa chaleur ne m'atteint plus. Les jours se suivent et se ressemblent par la tristesse qu'ils m'inspirent et le peu d'enthousiasme qu'ils me procurent. Quant aux nuits, elles me sont plus sombres et plus cauchemardesques que jamais. Je ne compte plus les fois où je me suis réveillé en sursaut parce que mon subconscient prenait plaisir à me torturer en me faisant croire que tu étais partie pour de bon.
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Juste une fille bien
RomanceVictoire habite avec ses parents et sa soeur sur les rives du lac d'Annecy. Plutôt solitaire, elle n'a pas vraiment d'amis au lycée. Quant aux garçons, ils ne la remarquent pas ce qui lui convient très bien car dans sa situation pas question de s'at...