Chapitre 10 (Victoire)

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Le lendemain matin, quand je me rends dans le séjour pour y prendre mon petit-déjeuner, je suis surprise par l'accueil chaleureux que me réserve ma sœur. Elle me lance en effet un grand sourire et me demande même si j'ai bien dormi (un miracle quand on sait que d'ordinaire nous ne nous adressons presque jamais la parole). J'acquiesce et je lui rends son sourire. Puis je remplis un bol de chocolat chaud et je viens m'asseoir à côté d'elle. Au bout d'un bref instant, elle me dit :

_ Au fait, merci d'avoir pris ma défense hier.

Des remerciements de ma sœur. Si je m'y attendais ! Ma stupéfaction est telle que je ne parviens pas à y croire.

_ Julie, tout va bien ? je lui demande, comme pour vérifier que j'ai bien entendu.

_ Pourquoi ça n'irait pas ? me répond-t-elle tout naturellement.

_ Je ne sais pas, mais tu viens quand même de me remercier donc...

_ Et alors ? C'est normal que je te remercie. Tu as pris mon parti devant maman, tu n'étais pas obligée de le faire.

_ Maman était injuste avec toi, je ne pouvais pas rester là à ne rien dire. Je me suis dit que si la remarque venait de moi, ça la pousserait peut-être à t'écouter mais je me suis trompée. Elle n'a rien voulu savoir et résultat, elle va continuer de me fliquer et en plus elle va te fliquer toi aussi. On aurait peut-être mieux fait de se taire...

_ Je crois au contraire qu'on a eu raison de lui dire ce qu'on ressentait. C'était sûr qu'elle le prendrait mal sur le moment mais, qui sait, ça la fera peut-être réfléchir quand même.

Sur ce, maman fait irruption dans le séjour. Considérant le ton sec qu'elle emploie pour nous saluer et l'air sombre qu'elle porte sur son visage, je susurre à l'oreille de ma soeur :

_ En tout cas, la nuit ne l'a pas fait réfléchir...

Julie me répond d'un rictus amusé tandis que maman prend place face à nous. Elle est bientôt rejointe par papa et tous les quatre nous partageons un nouveau petit-déjeuner silencieux. Je me demande jusqu'à quand nous allons nous faire la tête. J'espère que cette situation ne va pas durer trop longtemps, car s'il ne me reste que quelques mois à vivre je ne veux pas les passer à me disputer avec mes parents.

Avec Julie, nous ne nous éternisons pas à table. Nous rassemblons nos affaires et nous quittons la maison sans un mot pour maman et papa. Nous parcourons ensemble quelques dizaines de mètres dans la rue. Parvenues devant l'arrêt de bus, je me souviens que je me suis promise de ne plus jamais refaire le trajet avec Théo. Comme j'imagine qu'il va m'attendre au carrefour de notre première rencontre, je renonce à aller au lycée à pied et je demande à ma sœur si je peux m'y rendre en bus avec elle, songeant qu'ainsi je m'éviterai à coup sûr le fait de devoir le croiser. D'ordinaire, je me serais heurtée à un refus catégorique de Julie. Mais cette fois-ci elle accepte sans rechigner, une preuve s'il en fallait une de l'amélioration récente de nos relations. Je monte donc avec elle dans le bus et ensemble nous allons rejoindre ses copines à l'arrière du véhicule. Ces dernières me réservent un accueil sans chaleur, l'une d'entre elles lâchant même un soupir en me voyant. Julie s'en rend compte. Elle leur lance un regard noir destiné à leur faire comprendre qu'elle n'apprécie pas leur attitude à mon égard. Puis elle me souffle à l'oreille :

_ Ne fais pas attention à elles.

Ces quelques mots s'accompagnent d'un sourire qui finit de me convaincre si j'en doutais encore que ce matin je suis la bienvenue dans leur groupe d'amies. Le bus démarre et se mêle au trafic dense qui encombre les rues d'Annecy à cette heure. Pendant plusieurs kilomètres, nous avançons au pas mais bientôt nous nous retrouvons bloquées dans un embouteillage. Je jette un œil vers l'avant du bus et quand je vois la file interminable de voitures à l'arrêt qui le précède, je songe que nous ne sommes pas prêtes d'arriver au lycée. Julie et ses copines l'ont bien compris et se réjouissent d'avoir une bonne excuse pour manquer une partie de leur cours de mathématiques. Alors que moi je m'angoisse au contraire à l'idée d'être en retard et de me faire réprimander par la professeure de sciences qui est toujours d'une humeur de chien et qui aime tout particulièrement passer ses nerfs sur les retardataires. Ma soeur voit bien que je commence à stresser et me donne une accolade pour tenter de me rassurer.

_ Tu as affronté maman hier, c'est autrement plus terrifiant que de se retrouver confrontée à une remarque d'un professeur rabat-joie ! me dit-elle d'un air amusé.

Elle a sûrement raison alors je m'efforce de me tranquilliser et de prendre mon mal en patience. Le bus progresse toujours aussi difficilement. Julie et ses copines passent le temps en parlant des dernières modes vestimentaires. Quant à moi qui n'ai qu'un intérêt très relatif pour les vêtements, je m'occupe comme je le peux en consultant les actualités sur mon téléphone. Mais soudain je suis arrachée à mon écran quand j'entends l'une des amies de ma soeur s'écrier avec un enthousiasme débordant en désignant la vitre du bus du doigt :

_ Les filles, regardez qui est là !

Les filles tournent la tête dans la direction indiquée par l'index de leur amie. J'en fais de même. Puis c'est à ma sœur de lancer avec entrain :

_ Attendez, mais ce ne serait pas Théo Cari là-bas ?

Théo Cari. En entendant Julie prononcer ce nom, je me fige. En effet, c'est bien lui. Il se tient debout, immobile, au bord de la route.

_ Qu'est-ce qu'il fout ? demande l'une des filles.

_ On dirait qu'il attend quelqu'un, fait remarquer une autre.

_ Mais qui ? questionne une troisième.

Les filles échangent des regards interrogateurs. Aucune d'elles ne sait ce que Théo Cari fait là, immobile à ce carrefour, ni qui il attend. En effet, Julie et ses copines ne le savent pas. Mais moi je le sais. Théo m'attend. Aussi fou que cela puisse paraître, le « à demain » qu'il m'a lancé hier n'était pas une parole jetée en l'air. Il espérait vraiment refaire le trajet du lycée avec moi. Jusque-là, je me suis attachée à respecter la promesse que je me suis faite de ne plus aller à pied avec lui. Mais à présent, je suis traversée d'une pointe de déception. Ou peut-être n'est-ce pas de la déception mais plutôt du regret, peut-être bien que je me rends compte maintenant que j'aurais voulu le rejoindre à ce carrefour et faire le trajet avec lui. Sitôt que cette pensée apparaît dans mon esprit, je m'efforce de l'en chasser. Pour ce faire, je me raccroche à l'idée qu'un garçon comme lui ne peut pas s'intéresser à une fille comme moi et que donc je n'ai aucune raison de regretter quoi que ce soit. Sauf que cette idée ne me convainc pas. Et pour cause. Théo est en train de m'attendre alors c'est bien qu'il s'intéresse un peu à moi. Et puis il n'y a pas que ça. Il a aussi dit que j'avais quelque chose de spécial, que je l'intriguais, qu'il voulait mieux me connaître. Il doit forcément s'intéresser un peu à moi pour vouloir me dire tout ça... Tout d'un coup, je me sens complètement perdue et je me demande ce que je dois faire. C'est idiot que je me demande ça car il est évident que je ne dois rien faire. De toute façon, qu'est-ce que je pourrais bien faire ? Je ne vais quand même pas me ruer sur les portes automatiques du bus pour aller rejoindre Théo. Personne ne ferait une chose pareille ! Personne, vraiment ?

Julie, qui n'a plus quitté Théo des yeux depuis qu'elle l'a aperçu, se presse soudain vers les portes automatiques du bus. L'une de ses amies lui pose la question qui me brûle les lèvres mais que je n'ose pas lui poser :

_ Qu'est-ce que tu fais ?

_ C'est pourtant évident, commence par répondre ma sœur tandis qu'elle presse le bouton pour demander l'arrêt du bus. L'un des plus beaux mecs du lycée est tout seul là-dehors. Je ne vais pas manquer une si belle occasion de faire connaissance avec lui !

Un court instant après, les portes s'ouvrent et juste avant de descendre, Julie nous lance encore, à ses amies et à moi :

_ A plus les filles !

Puis elle se retrouve sur le trottoir et je la vois redescendre la rue sur plusieurs mètres pour s'approcher de Théo. Elle l'aborde sans la moindre hésitation et au bout d'à peine quelques secondes, elle réussit à lui arracher un sourire. Son opération séduction est lancée et à en juger par l'attitude de Théo, elle a toutes les chances d'aboutir.

_ Sacrée Julie ! Elle ose vraiment tout avec les mecs ! dit l'une de ses amies, admirative.

Le trafic se fluidifie, le bus se remet à avancer, et je dois me résoudre à laisser ma soeur et Théo ensemble. Qui descendrait d'un bus pour un garçon ? Certainement pas moi. Mais ma sœur, elle, elle l'a fait. Et c'est ainsi qu'elle se retrouve à faire le trajet avec Théo à ma place. J'en éprouve un vif agacement, ce qui ne veut pas dire que je suis jalouse. Ça non, je ne suis pas jalouse, elle peut bien faire ce qu'elle veut avec Théo, je m'en fiche. Ce n'est pas comme s'il m'intéressait. Comment pourrait-il m'intéresser ? Je ne le connais même pas !

J'espère que ce chapitre vous a plu :)
La suite dès mardi ;)

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant