Chapitre 39 (Théo)

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Je prends place face à Victoire. Au moment où elle avale sa première bouchée, je reste suspendu à ses lèvres, attendant fébrilement son verdict. Elle prend le temps de déguster, comme le ferait un critique culinaire, et finit par me dire :

_ C'est excellent. Chef Cari, vous êtes décidément le plus grand spécialiste de la purée de pommes de terre que j'ai jamais rencontré !

Elle en rajoute un peu (beaucoup) pour me faire plaisir. Je le sais parce que je mange précisément le même plat qu'elle, et je lui suis très reconnaissant de ne pas me faire remarquer que la purée est presque froide et que la sauce est presque sans saveur. En fait, j'en suis à un point où je me dis que j'aurais mieux fait de prendre un traiteur. Ainsi, Victoire aurait eu droit à un repas digne de ce nom plutôt qu'à cette espèce de bouillie de pommes de terre au goût, il faut bien le dire, assez insipide. Mais je me rassure en constatant qu'elle ne me tient pas rigueur de cette expérience culinaire pour le moins foireuse. Après un instant, elle me lance dans un sourire amusé :

_ C'est fou, je n'aurais jamais pensé que je pourrais autant aimer mal manger !

Ne sachant pas trop quoi penser de cette réflexion, je l'interroge :

_ C'est un compliment ou bien tu es déçue ?

_ C'est un compliment. Je suis très touchée que tu aies cuisiné pour moi. Et pour rien au monde je ne voudrais manger autre chose que cette purée mal cuite.

Cette fois, elle m'en voit rassuré pour de bon.

Mon niveau de cuisinier étant ce qu'il est et ayant conscience que mon niveau en pâtisserie est pire encore, je n'ai pas poussé le vice jusqu'à préparer moi-même le dessert. J'ai laissé ma mère s'en charger, elle qui est presque aussi douée avec un fouet pâtissier qu'avec un piano. Une sage décision que je me félicite d'avoir prise au moment de savourer la première cuillère du tiramisu qu'elle nous a concocté. Victoire aussi est aux anges.

_ C'est trop trop bon ! s'écrie-t-elle avec un enthousiasme débordant.

Je me mets à sourire. Tandis qu'elle se demande sûrement pourquoi, je me penche vers elle et avec mon index, je viens effacer un morceau de mascarpone qui s'est niché au coin de ses lèvres.

_ Oups, je n'ai jamais su manger proprement, me confie-t-elle un peu embarrassée avant d'ajouter cette fois d'un air amusé. Et toi non plus apparemment.

_ Quoi ? J'en ai aussi, c'est ça ?

_ C'est ça, me confirme-t-elle en désignant son menton pour me signifier que le mien est badigeonné de mascarpone.

Comme je ne parviens visiblement pas à me débarbouiller le visage tout seul, elle se penche à son tour vers moi et vient me l'essuyer avec un coin de sa serviette. Sur ce, nous partageons un éclat de rire et le dîner se termine dans une ambiance détendue et joyeuse.

Après que nous ayons débarrassé la table, je fais chauffer du thé et je vais chercher dans un placard à l'étage une couverture. Puis je lance à Victoire :

_ Viens, il faut que je te montre quelque chose.

_ Que tu me montres quoi ? me demande-t-elle à brûle-pourpoint.

_ Viens, suis-moi, je lui réponds simplement, bien décidé à garder la surprise jusqu'au bout.

Elle s'exécute et me suit. Nous enfilons nos vestes et je la conduis à l'extérieur du chalet. Le domaine qui entoure la propriété est plongé dans l'obscurité la plus totale. Nous descendons pendant quelques dizaines de mètres, guidés par l'éclairage de la lampe torche de nos téléphones portables. Régulièrement Victoire revient à la charge et me redemande où je l'emmène. Mais je ne cède pas et je parviens à garder le secret.

Juste une fille bien Où les histoires vivent. Découvrez maintenant