Surnaturelle, tome 1: SAVOIR

Chap 15 : Comment passer une bonne soirée après une semaine pourrie ?

- L'objet est trop loin, c'est mort.

- Nous sommes moins loin de ta chambre que nous ne l'étions dans la petite prairie derrière le buisson de cotonéaster, fis-je remarquer.

Casey me fusilla du regard puis ronchonna une longue minute sur le fait que je devais sans aucun doute être bien la seule de l'établissement à savoir différencier les buissons entre eux. De mon côté, je la regardais droit dans les yeux sans sourcilier attendant qu'elle se mette enfin au travail. En fait, ce n'était pas que Casey ne voulait pas appeler son ordinateur. Loin de là, c'était juste qu'elle n'arrivait pas à concentrer sa magie pour le faire. Je le savais, je le sentais. Sa magie était en train de s'exciter autour de nous tel un poisson au bout d'une canne à pêche qui cherchait à s'échapper. Il n'y avait qu'une explication possible, Casey était beaucoup trop stressé à l'idée de se rater devant moi. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi, mais de toute façon si on voulait que l'ordinateur vienne jusqu'à nous il fallait qu'elle respire un bon coup et qu'elle se calme. Je ne pouvais tout bonnement pas le faire à sa place au vu de ma situation. Je décidai de reculer d'un pas afin de lui laisser un peu plus d'espace.

- Je sais que c'est un sort facile, mais je t'avoue que je ne suis pas très douée en magie, se justifia-t-elle après quelques secondes de silence. Pas que j'en manque hein ? Juste que j'ai du mal à la concentrer. Et je ne voudrais surtout pas alerter tout le bâtiment de ma présence. Tu as déjà suffisamment de problème sans moi.

- Bah tant que tu le fais passer par dehors et pas par l'intérieur en l'obligeant à défoncer tous les murs sur son passage ça devrait aller, répondis-je en me remémorant la première fois que j'avais fait léviter un objet hors de ma vue jusqu'à moi.

- Super, maintenant je vais penser à ça quand je jetterai mon sort et c'est ce qui va réellement m'arriver, ronchonna-t-elle de nouveau avant de retendre ses mains devant elle et de fermer les yeux pour une seconde fois.

Je sentis sa magie s'activer et mes poils s'hérissèrent par réflexe. J'eus tout d'un coup un instant de nostalgie. Cela me manquait tellement de sentir la magie s'activer sous ma peau, me picoter l'intérieur des veines et enfin prendre entièrement possession de mon corps. Comme je passais le plus clair de mon temps toute seule, je ne m'étais jamais vraiment contrainte à retenir mon pouvoir. Au contraire, il m'arrivait même de l'utiliser sans m'en rendre compte. Maman m'avait souvent fait des réflexions quant à ce sujet. Mais maintenant que je devais faire attention, c'était une tout autre histoire. Et je sentais que mon pouvoir avait du mal à le comprendre. Il voulait tout le temps s'échapper de moi. A un moment, tandis que Casey récitait les paroles du sortilège je sentis sa magie tressauter et s'exciter. Elle était en train de déraper. Je me dépêchais de lui chuchoter quelques paroles encourageantes qui semblèrent heureusement fonctionner. Avec un peu de chance nous allions toutes deux ressortir vivante de cette aventure.

A l'instant où j'aperçus le reflet de son ordinateur dans l'obscurité de la nuit, je compris que ce n'était peut-être pas aussi sûre. Elle n'avait toujours pas progressé d'un cheveu dans l'exécution de son sortilège visiblement. Le pauvre ordinateur foncé vers nous à une vitesse prodigieuse qui me fit tout de suite comprendre que Casey ne pourrait pas le rattraper seule. Par instinct, je posais mes mains sur ses épaules, prête à la soutenir quand il arriverait dans ses mains. En vain, je servis à vrai dire plus de coussin d'amortissement avec le sol que de réel soutien. Nous restâmes quelques minutes comme ça. Moi allongée sur le sol, le corps parcourut par la douleur du choc avec la terre ferme et le reste de mes courbatures, et elle les mains en l'air avec sa tête sur mon ventre tenant l'ordinateur et le regardant comme si son arrivée revenait du miracle. Quand elle se releva et se tourna vers moi elle avait un étrange sourire de victoire.

- J'ai réussi !

- Hum. Oui, félicitations.

Ce n'était pas ce que j'appelais vraiment réussir, mais je me retins de le mentionner. A vrai dire il était bien arrivé dans ma chambre. Et c'était à la base le but du sort qu'elle avait lancé. Je me levais à mon tour et tapotais sommairement mon pyjama pour enlever les poussières présentes sur le sol de ma chambre qui s'y était collé suite à ma chute.

- Tu n'imagines même pas, ça doit bien être ma trois centième tentative et il est là. Dans mes mains ! s'exclama-t-elle de nouveau en levant bien haut son ordi.

Je réprimais un sourire. Et pour cause, je ne connaissais que trop bien cette sensation. Moi aussi j'étais du genre à galérer sur des sorts pendant des mois. Différence faite, qu'ils étaient juste beaucoup plus complexes si ce n'était même interdits. Mais ça ne changeait pas grand-chose. La magie, si elle ne jugeait pas la sorcière qui l'utilisait assez puissante, pouvait lui résister un sacré bout de temps. A titre personnel, j'avais mis plus de 6 mois à parfaitement contrôler le dernier sortilège que j'avais appris. Je me dirigeais vers mon lit où je me laissais tomber de fatigue. Grave erreur, car mes jambes me rappelèrent douloureusement qu'elles n'allaient pas me laisser tranquillement servir une deuxième fois d'aide au receveur.

- Alors tu veux regarder quoi comme type de film ? lui demandais-je en réagençant les coussins plats comme des crêpes que m'avait prêté l'école sur mon lit.

Heureusement que Casey avait proposé de regarder un film. Même si je n'aimais pas vraiment ça, au moins le seul effort que cela aurait à me demander serait de garder les yeux ouverts. Et c'était la seule chose que je me sentais capable de faire ce soir. Quand je redressais enfin les yeux je vis que Casey me fixait du regard.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je te fais de la place pourquoi ?

- Artémis je suis une sorcière et toi une tueuse.

- Et alors ? demandais-je sans comprendre là où elle voulait en venir.

- Et alors je n'ai pas le droit de m'asseoir sur ton lit même avec ton autorisation.

- Et qui a décidé ça ?

- Aucune idée mais c'est comme ça, me répondit-elle après quelques minutes de réflexions.

Sauf que j'étais une sorcière comme elle. Et puis même, je ne comprenais pas en quoi ça pouvait poser problème. Elle n'était pas métaphore ou loup-garou. Qu'est-ce que les tueurs et les sorcières pouvaient avoir comme problème pour refuser de s'asseoir à côté d'un surnaturel d'une autre race. Ces deux espèces n'étaient pas aussi sensibles aux odeurs que les autres. C'était sans aucun doute dû à l'étrange mentalité de ségrégation qu'avait les étudiants ici. Sérieusement celle-là elle commençait à me taper sur les nerfs. C'était quoi ce point de vue d'avant la Grande Guerre ? Heureusement que j'étais censé être dans une école inter-espèces. Par conséquent, ce n'était pas surprenant que Miss Amélia m'ait incité à me mêler aux autres espèces à mon arrivée ici. La question était juste de savoir si cette dernière avait conscience de l'ampleur du fossé qui séparait chaque espèce des autres. Et la Déesse me chuchotait que oui.

- Casey j'ai mal partout dans mon corps, je ne m'assirais pas par terre. Donc si le problème vient seulement de mon lit, arrête de blablater et dépêche-toi de venir me rejoindre, dis-je d'une voix qui laissait transparaitre une pointe d'agacement.

Il était hors de question que je me sois de nouveau fait mal en m'asseyant sur mon lit pour rien. Casey hésita quelques secondes avant de se rapprocher. Cette mentalité saugrenue n'était peut-être finalement pas partagée par tous, tout compte fait.