Chap 16 : Comment recevoir un message de sa mère sans se faire prendre ?

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A chaque foulée, je sentais la douleur remonter désagréablement le long de ma jambe jusqu'à ma colonne vertébrale me donnant l'impression de m'enfoncer petit à petit encore plus profondément une aiguille dans le talon. Pourtant, pas une seule seconde je ne pensais à m'arrêter ou ne serait-ce qu'à ralentir la cadence. Déjà que je ne courrais pas aussi vite que j'aurais dû par manque d'activité physique régulière, si je ne me donnais pas un tant soit peu, Donovan De Belloy risquait de vraiment finir par m'avoir dans le viseur. Au détour de mon énième virage, je levais quelques secondes la tête vers la fenêtre de son bureau afin de vérifier s'il m'espionnait encore. Je détournais le regard rapidement en faisant mine que je ne l'avais pas vu même si je doutais d'être très convaincante et continuais comme si de rien n'était. Comme il me l'avait dit vendredi au soir, j'étais arrivée ce matin à 6 heures moins dix sur la piste d'athlétisme de l'établissement et après m'être sommairement échauffés j'avais entamé mes 15 tours de pistes non sans appréhension au vu des courbatures que je me coltinais encore maintenant. A peine avais-je commencé qu'il était apparu à sa fenêtre. Rien de surprenant à vrai dire. C'était assez compréhensible, arriver un peu plus tard ou même ne pas venir était très tentant. En tout cas l'aurait été pour tous jeunes que ce soit. Mais je n'étais pas ce genre de fille et je savais que si je voulais progresser et tenir au moins 10 minutes face à mon prochain adversaire durant son cours, je ne pouvais pas me contenter seulement de ses heures d'enseignement. Non, j'allais devoir mettre les bouchées doubles et travailler de mon côté pour combler mon retard. Et en dépit du fait que je n'appréciais pas trop le sport, c'était bien ce que je comptais faire.

Dès que je dépassais pour la seizième fois mon point de départ, je me mis progressivement à ralentir. Le souffle saccadé et le cœur battant à cent à l'heure, je mis quelques minutes à me remettre de cette course. C'était fou, j'avais réellement l'impression d'habiter le corps d'une femme de 70 ans depuis que j'avais commencé mes cours spécifiques aux tueurs. Il fallait avouer qu'avant ça, je n'avais jamais vraiment fait attention à ma condition physique, mais maintenant cette dernière ne faisait que me sauter au visage. Je montais les trois étages jusqu'à ma chambre j'étais à bout de souffle, je portais mes bouquins de cours et je sentais mes muscles se tendre sous l'effort... Par la Déesse, comment avais-je fait jusqu'à là pour survivre aux tueurs, métamorphes, loups-garous et autres surnaturels qui nous chassaient maman et moi ? Le constat était affligeant, néanmoins je devais m'y résoudre : j'étais purement et totalement dépendante de ma magie. Et il fallait que je change ça au plus vite. Bien que j'étais une sorcière héritière, je n'étais pas à l'abri d'une panne soudaine de pouvoirs. Beaucoup de sorcières pensaient que c'était un mythe, mais maman m'avait toujours mise en garde de ce danger. Et elle avait malheureusement rarement tort. Une fois, j'avais entendu quelqu'un dire que « les mères avaient toujours irrémédiablement raison ». J'ignorais si c'était le cas pour toutes, mais j'étais sûre d'une chose, c'était que ce dicton s'appliquait parfaitement à la mienne.

Alors que je sentais petit à petit que mon esprit reprenait entièrement possession de mon corps, je sentis de nouveau le regard insistant de Donovan De Belloy. Je me retournais. Toujours positionné derrière sa fenêtre, il semblait étrangement perdu dans ses pensées. Avait-il compté mes tours de terrain pour être sûr que je ne l'arnaque pas ? A mon avis non. Non, il ne semblait pas être ce genre de professeur. En plus il semblait beaucoup trop ailleurs pour être en train de compter. Alors pourquoi me surveillait-il ? Je l'ignorais. Peut-être à cause de ces doutes sur moi. J'avais ressassé notre dernière conversation en boucle dans ma tête et une chose m'était apparu clairement. C'était que même si pour une raison étrange je faisais pleinement confiance à Donovan De Belloy, j'étais quand même dans la merde. En à peine une semaine, soit trois cours, il avait déjà des doutes sur la véracité de mon identité. Et ça ne pouvait définitivement rien présager de bon. J'attrapais mes affaires et après un discret coup d'œil à ma montre pour vérifier que j'avais un peu de temps avant le début des cours, je filais sous la douche. Vingt minutes plus tard, j'arrivais en cours d'histoire. Heureusement pour moi, Mme de Chapteuil n'avait pas encore commencé, j'avais cru comprendre qu'elle détestait les retardataires. Je filais rapidement à la place que je prenais d'habitude après un discret coup d'œil à Casey. La veille elle était partie comme convenu et notre séparation avait été des plus étrange. Et pour cause, on s'était couché relativement tard et quand je m'étais réveillée à 10 heures et demie passé j'étais seule dans mon lit. Elle avait disparu pendant mon sommeil en me laissant un petit mot de remerciement sur mon bureau.

Mme De Chapteuil entama son monologue habituel quand je sortis mon livre de cours et notais un petit bout de papier froissé qui en sortait. Je soulevais un sourcil dans une moue interloquée. Etrange, j'avais lu ce manuel quatre fois durant le weekend. Pourquoi n'avais-je pas vu plus tôt que son ancien propriétaire avait oublié d'enlever et de jeter à la poubelle un petit mot ? Discrètement, en prenant soin d'être sûr que personne ne me fixait, je tirais sur le bout de papier avec un tant soit peu de curiosité. Au moment où l'écriture de ma mère apparut je remis le papier dans le livre comme si de rien n'était et m'empressais d'ouvrir le livre à la page que Madame De Chapteuil venait de nous indiquer. Mon sang venait de se glacer. Maman m'avait dit qu'elle me contacterait dès la deuxième semaine de mon arrivée, mais je n'imaginais pas qu'elle le ferait aussi directement. J'allais devoir me montrer beaucoup plus vigilante avec mes affaires. Et ce même si je savais que de son côté, ma mère avait quand même pris ses précautions. En effet, de ce que j'avais rapidement entraperçu, le texte était en latin et était surement codé. D'habitude je résolvais ces énigmes assez rapidement avec l'aide de la magie, mais cette fois-ci il me semblait bien que j'allais devoir m'en passer.

Je me mis à tripoter nerveusement mon stylo en pensant à ce que contenait le mot de maman quand Alexandre entra en classe. Il était encore en retard et comme à tous les derniers cours que j'avais eus avec lui il se contenta juste de tendre un bout de papier à Mme De Chapteuil avant d'aller s'asseoir. Cette dernière continuait inéluctablement à pester, mais visiblement le directeur des loups-garous, Thomas Walker, avait bien décidé de la rendre folle. Alexandre, quant à lui, continuer toujours à s'asseoir à la place de son camarade loup de d'habitude. Le pauvre était obligé de déménager en plein cours à chaque fois pour prendre la place coutumière de son Alpha. Devant, au premier rang. Alors qu'Alexandre venait tout juste de s'asseoir, il tourna la tête comme à son habitude vers moi pour me dévisager. Je lui fis face quelques secondes avant de revenir à Madame De Chapteuil qui avait repris. Soudain un mot apparu sur ma table. « Tu te l'es mis à dos ? » était-il écrit. Je tournais les yeux vers la personne qui avait déposé le message sur ma table. Casey n'avait visiblement rien raté du duel de regard que je semblais livrer avec Alexandre Sakai à chaque cours. Il fallait avouer qu'il n'était pas très discret de son côté. En une heure de cours, il devait à peine me quitter du regard plus de 5 minutes. En tout cas j'espérais que les membres de sa meute étaient moins observateurs que Casey. Je n'avais pas besoin que ces derniers se fassent le même film dans leur tête. Je n'avais rien fait moi. C'était l'autre, leur Alpha chelou, qui apparemment semblait avoir un problème avec ma tête. Je répondis discrètement à Casey par un léger mouvement de l'index. C'était que comme Madame De Chapteuil était une vampire, il était très difficile voire même impossible de bavarder durant son cours sans se faire prendre.

- Mademoiselle Weir, la date de la première grande assemblée des 16 ?

- Le 22 août 1948 à Tokyo. C'est écrit dans la légende de la photo page 136, m'empressais-je de mentionner.

Visiblement il était même tout bonnement impossible de communiquer entre nous de quelques formes que ce soit durant ses cours. Madame De Chapteuil me jugea d'un regard mi-sévère mi-satisfait avant de continuer son long monologue sans plus me porter d'importance. Je retins un soupir de soulagement. Note pour moi-même, arrêter d'avoir réponse à tout.

Surnaturelle, tome 1: SAVOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant