Chap 27 : Comment faire une nuit blanche ?

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Le sol sous mes pieds était glacé et je n'avais qu'une envie, retourner me blottir dans mon lit bien au chaud sous ma couette. Pourtant, je continuais d'avancer dans le couloir désertique sans un bruit. L'obscurité m'enveloppait de sa douce noirceur un peu plus à chaque pas et je réprimais une furieuse envie d'allumer la lumière pour la faire fuir. Car c'était dans le noir que j'étais en sécurité. C'était dans le noir que j'avais le droit de vivre. C'était dans le noir que j'existais, tout simplement. Arrivée au bout du couloir, je bifurquais dans les escaliers et entrepris de les descendre calmement avec ma main tremblante sur le mur pour me guider. Le papier sous mes doigts étaient rêches et chaque marche produisait un affreux grincement qui me tordait l'estomac. Néanmoins, je ne m'arrêtais pas une seule seconde de descendre marche après marche cet interminable escalier. A ce moment précis, je détestais ma mère. Je la détestais de me faire vivre ça. Cette vie qui n'en était pas une. Cette vie qui ne consistait qu'à survivre chaque semaine un peu plus longtemps. J'avais l'impression d'être un vulgaire lapin condamné à attendre le moment où un chasseur l'attraperait pour l'égorger d'un coup sec. Sauf qu'au moins eux, ils n'en avaient pas conscience. Moi, si.

Une fois arrivée au rez-de-chaussée, mon regard se fixa sur la porte d'entrée. J'étais tétanisée par ce qui arrivait. Et pour une fois, je n'avais pas le moindre espoir intérieur de m'en sortir. La mort venait et je n'avais qu'une envie, lui ouvrir les mains pour enfin en finir. J'étais plus que lassée de tout ça. Je ne voulais plus qu'une chose, me reposer. Mon corps était épuisé et mon esprit était exténué. Ils en avaient marre de toujours avoir peur, de toujours faire attention... Je m'agenouillais par terre tandis que les larmes commencèrent à couler sur mes joues. J'étais tellement pitoyable. J'entendais déjà les remarques de maman. « Une vraie sorcière ne pleure pas, elle ne ressent pas la peur car elle sait que la Déesse veille sur elle à jamais », voilà ce qu'elle aurait dit. Ce n'était pas la première fois que je ressentais vraiment de la peur. Mais là, c'était différent d'avant. Je ne sentais pas la Déesse avec moi pour une fois. Je ne sentais plus les flux d'énergie tourner autour de moi et m'apaiser de leur douce chaleur. Non, l'atmosphère était froide et étrangement vide. J'étais seule. J'étais seule face à lui. J'essayais de ravaler mes larmes, sans succès. Mes yeux refusaient de m'obéir. Eux aussi étaient lasse de se retenir.

Mon regard fut attiré par un reflet et je tournais la tête vers la pendule du salon. Elle indiquait 23h59. Dans une minute, il serait là et dans une minute, je mourrai. Le jour de mon anniversaire. Le jour même où 11 ans plus tôt ma mère m'avait donnée vie. Je pensais à tous mes précédents anniversaires. Si je m'étais doutée que ça serait aussi la date de ma mort... La branche des secondes se rapprocha de plus en plus de minuit avant de la dépasser dans un silence assourdissant. Je ne sais pas ce qui se passa à ce moment-là, mais je me redressais soudain et reculais de quelques pas retrouvant d'un coup une infime quantité d'énergie. Maman m'avait dit qu'avant de mourir, on voyait notre vie se dérouler en accélérer devant nos yeux. Moi je n'avais vu qu'une seule chose durant ces trois secondes d'absence. Une simple image immuable où la seule évolution au cours des secondes était les vêtements que je portais. Oui. Je m'étais vue moi, toute seule à la maison, en train de regarder par la fenêtre. Car c'était à ça que se résumait ma vie. Attendre que ma mère revienne pour aller me terrer autre part. Rêver d'une autre vie en regardant le monde extérieur, une vie où je pourrais m'exposer pleinement au soleil sans avoir peur. Je compris en cet instant que je n'avais pas le droit de mourir. Parce que pour mourir, il fallait vivre. Et je n'avais jamais vécu.

La chose derrière la porte se rapprochait de plus en plus de la maison et son aura m'entourait chaque seconde un peu plus me donnant l'impression qu'elle allait me dévorer d'une seconde à l'autre. Néanmoins, par un instinct de survie extraordinaire, je réussis à tourner le dos à cette chose qui me terrifiait afin de courir me cacher dans la partie arrière de la maison, là où se trouvait la cuisine. Mes jambes tremblaient et je ne voyais pas grand-chose entre mes larmes, pourtant je réussis tant bien que mal à attraper un couteau et un pot de farine caché au fond d'un placard. J'ouvris ce dernier dans un élan de précipitation avant de verser la poudre blanche dans un cercle approximatif autour de moi. Tout le pot y passa et quand il fut totalement vide je me jetais à terre pour compléter mon enchantement approximatif de protection. Je me mis à dessiner des dessins dans la farine à l'aide du couteau. Ma main s'animait toute seule et je n'étais même pas sûre de comprendre quelles runes j'étais en train de dessiner, mais je le faisais. Un trait après l'autre je dessinais toutes les runes qui me venaient à l'esprit. La porte d'entrée vola devant moi dans un énorme fracas tandis que je continuais à dessiner. Encore et encore. Le temps de vivre juste, quelques secondes de plus.

Surnaturelle, tome 1: SAVOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant