Chap 24 : Comment lire en cachette ?

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Bon, bah c'était raté. Je refermais le grimoire « Sorts et enchantements de tout genre » d'Emilia Payne avec un certain sentiment d'échec. En choisissant ce livre j'avais voulu m'assurer de trouver un minimum de réponses à toutes ses questions que je me posais. Néanmoins, rien de ce qu'il contenait ne ressemblait de près ou de loin au sortilège que j'avais contrecarré au début de la semaine. Bon, au moins ça voulait dire que j'avais bien fait d'agir et que ce n'était pas un sort minime, mais quand même. J'aurai au moins voulu trouver un semblant de piste ne serait-ce qu'au niveau de certaines runes. Or là, je n'avais rien. Rien de rien. Si même les manuels classiques de notre art ne parlaient pas de ce genre de magie c'était qu'elle devait être vraiment, vraiment, très spéciale. J'allais mettre beaucoup plus de temps que je ne le pensais à la déchiffrer. Le regard plongé dans le néant de mes pensées, je mis quelques secondes à m'apercevoir que Casey me regardait par-dessus son bouquin. Je me redressais sur le fauteuil où j'étais avachis comme si de rien n'était devant son regard interrogateur.

- C'est intéressant ? me demanda-t-elle.

Elle se trouvait à moins d'un mètre de distance, derrière la grande table située devant le fauteuil que j'occupais, et sa mauvaise humeur semblait enfin s'être atténuée puisqu'elle avait arrêté de souffler bruyamment toutes les 5 minutes comme une vache qui s'apprêtait à foncer sur des gens.

- Oui pourquoi ? répondis-je.

- Parce que tu es toujours à la même page depuis qu'on s'est installée.

J'esquissais un semblant de sourire que je ne réussis pas à cacher. Evidement que j'étais à la même page de « l'Odyssée des surnaturels » que depuis que je m'étais laissée tomber dans le fauteuil. Le livre que je lisais réellement était caché derrière lui. Et j'avais suffisamment galéré à le sortir de l'étagère et à le cacher derrière ce premier pour m'abstenir de prendre le risque de donner l'illusion que je lisais réellement ce pavé historique ennuyeux. Comme je l'avais déjà remarqué, Casey était très observatrice.

- Je sais que je lis très lentement, mais quand même. Je suis à la page 67 là, dis-je en lançant un rapide coup d'œil à la page en question. Et toi ? Ton livre est comment ?

Je n'étais pas certaine qu'elle me croit réellement pour autant elle ne me posa pas plus de questions et accepta qu'on parle d'elle et de ce livre bizarre qui n'avait pas grand-chose à voir avec la magie en réalité malgré son emplacement.

- La semaine prochaine j'ai cours avec Elena Wildes, dit-elle d'un ton résigné.

Je savais que ma mère n'était pas très appréciée comme sorcière et que la pédagogie n'était pas du tout son fort, mais quand même. Ces cours ne pouvaient pas être pire que ceux qu'elle me donnait en tête à tête. Ne serait-ce que par rapport à la politique de l'école, je doutais qu'elle puisse par exemple suspendre des élèves dans le vide comme elle l'avait fait pour moi à certains de mes entrainements.

- Et ? l'incitais-je à continuer.

- A chaque fois elle nous demande la même chose. Façonner notre magie en forme de fleur. Tu vois, le plus important dans cet exercice c'est que notre magie soit parfaitement contenue et que les autres puissent saisir notre pouvoir sans qu'il leur explose entre leurs mains. C'est très difficile tu sais.

C'était vrai que c'était un des exercices préférés de maman. Je le travaillais depuis que j'étais enfant et mes fleurs n'avaient jamais été à la hauteur à ses yeux malgré les années passées à m'exercer dessus. Elles n'étaient pas assez coupantes, les traits pas assez définit, la couleur pas assez vive... Ce n'était pas difficile d'obtenir une forme, mais le vrai casse-tête c'était qu'elle soit bien nette et bien modeler afin que la magie contenue dans la fleur ne s'éparpille pas dans la nature.

- Et pourquoi ce livre ? demandais-je.

- On ne peut pas façonner différents types de fleur de différentes couleurs, m'expliqua Casey. Chaque sorcière ne peut matérialiser son pouvoir que sous une seule forme de fleur et une seule couleur. Et devine la mienne...

J'haussais les épaules. Pour être honnête je ne m'étais jamais questionnée sur le pourquoi de la différence de fleurs et de couleurs entre les sorcières. Mais ce n'était pas idiot. Après tout, si la Déesse avait pris la peine de nous permettre de différencier nos fleurs c'est qu'elle devait avoir ses raisons.

- Mes fleurs sont marrons, mais genre comme la boue que se tartine les cochons sur tout le corps. C'est une horreur ! s'exclama-t-elle d'un ton fatidique.

- Que veut dire le marron ?

- Le marron renvoi à la terre, la douceur et la neutralité d'après cette Ursula machin chose. Rien qui me soit utile en soit pour faire taire les mégères comme Evanora en tout cas, soupira-t-elle. Et évidemment, tu sais c'est quoi sa couleur à elle ? Mademoiselle je suis la sorcière parfaite ! Le rouge. Un putain de rouge sang.

Le visage d'Evanora me revint en mémoire. En vrai pour le coup c'était facilement devinable. Le rouge sang renvoyait avant tout à la loyauté, à la descendance et à la noblesse. Tout ce qui caractérisait une famille gardienne. Surtout la troisième, celle à laquelle Evanora appartenait.

- Il y a beaucoup de couleurs différentes dans ta classe ? demandais-je curieuse.

- Non. A vrai dire je suis la seule qui est une autre couleur que le bleu, le violet, le rose ou le rouge.

- Et pour Elena... Wildes ? rajoutais-je quelques mili-secondes plus tard.

Casey posa de nouveau les yeux sur moi et je priais pour qu'elle n'est pas perçue cette seconde d'hésitation que j'avais eu après avoir prononcé le prénom de ma mère, seul.

- Elle, elle est à part, soupira-t-elle. Même au sein de notre race. D'après les rumeurs, chose exceptionnelle, elle en a deux. Le dahlia rouge et le tournesol depuis quelques années. Enfin bon même pour nous montrer, elle refuse de modéliser son pouvoir devant nous, donc rien n'est vraiment sûr, mais ça ne m'étonnerait pas vu sa puissance magique.

Je ne connaissais que trop bien les dahlias rouges de ma mère. Ils étaient magnifiques. Pour avoir pu les étudier de près, j'avais longtemps cru, petite, qu'elle les sculptées dans des rubis tellement leur couleur était à la fois profonde et lumineuse. Combien de fois avais-je fixé du regard celles qu'elle laissait sur le cadavre de nos agresseurs pendant qu'elle faisait le tour de la maison pour être sûre d'avoir détruit toutes traces de notre passage ? Car oui, ma mère, bien qu'étant une criminelle, suivait scrupuleusement le code d'honneur des sorcières. A chaque dois qu'elle tuait un être, elle signait son acte en laissant une fleur. Dans notre culture, c'était une manière de saluer la Déesse et de lui demander son pardon pour avoir enlevé la vie à quelqu'un à qui elle l'avait offerte des années plus tôt. Et ceux, que la victime soit une sorcière ou une personne d'une tout autre race.

- Et que veut dire le jaune de ses tournesols ? demandais-je par curiosité.

- Hum... elle ouvrit de nouveau son livre pour y jeter un rapide coup d'œil avant de reprendre en pointant le doigt sur une des pages. Alors d'après notre chère Ursula c'est la connaissance, la puissance et le... mensonge. Pour l'instant tout ce qui caractérise Elena, je vais vraiment finir par prendre au sérieux ce livre.

C'était vrai que ces trois mots correspondaient totalement à ma mère. Ça en était même troublant d'un côté.

- Ah non oublie ce que j'ai dit, s'exclama-t-elle quelques secondes plus tard, c'est aussi l'amitié et la joie. Deux concepts qu'Elena Wildes ne connait pas du tout. J'en mettrais ma main à couper.

Surnaturelle, tome 1: SAVOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant