2 | Le calme avant la tempête

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Londres.

The Kensington Wing.

Trois mois plus tôt.

***

Il est six heures du matin. Après avoir jeté un rapide coup d'œil à l'horloge digitale installée sur le mur blanc du bureau, je baille ostensiblement en m'étirant sans la moindre élégance, incapable de me retenir.

Plus qu'une heure.

Un instant – épuisée par la nuit venant de s'écouler – j'hésite entre rentrer directement dormir ou passer d'abord le voir. Ayant trouvé son comportement étrange, hier, lorsque je l'ai quitté avant de venir travailler, je décide d'aller le rejoindre, en ayant définitivement besoin. Ces moments sont trop précieux pour envisager d'en perdre un seul instant, voyez-vous.

Je t'aime.

Il y a eu seulement quatre naissances ces dernières heures, à la maternité. Finalement, c'était comme le calme avant la tempête s'apprêtant à déferler dans toute son inouïe violence. Avec le recul, j'aurais dû le voir comme un signe aussi clair que limpide de ce qui allait suivre.

Sauf que tu ne crois nullement aux signes, Sarah.

Je n'en suis plus si sûre désormais. Je vais avoir besoin d'y croire pour continuer à vivre.

Grâce à ces simples voies basses sans complications, l'élève sage-femme que j'accompagne depuis quelques semaines a pu pratiquer tous les gestes nécessaires et est absolument radieuse-rêveuse-fière-comblée, assise sur le fauteuil juste à côté du mien. Je me rappelle de ce jour pas si lointain où – en tant qu'étudiante – j'ai mis mon premier bébé au monde. J'avais aussi ce sourire immense, cet air ridiculement béat sur le visage. Un souvenir de cette envergure ne s'efface jamais, croyez-moi sur parole. Sachez que je ne pourrai oublier cette nuit non plus, mais pour une autre raison la marquant probablement aussi.

Peut-être est-il temps de te présenter auprès des lecteurs, non ? C'est déjà le chapitre deux après tout.

C'est vrai, je manque à tous mes devoirs, pardonnez-moi. Probablement est-ce à cause de la fatigue. Laissez-moi me rattraper, d'accord ? Pour commencer, je m'appelle Sarah.

Sans blague ?! Dis-leur plutôt quelque chose qu'ils ignorent, veux-tu ?

Sarah Oliver. Je suis sage-femme spécialisée en lactation humaine. J'ai vingt-huit ans et habite Londres depuis toujours. Mon grand frère vient de mourir, sauf que je ne le sais pas encore. Je l'apprendrai lorsque le téléphone va sonner. Jacob est mon aîné de deux ans. J'aurais tant de choses à vous dire à son sujet. Je finirai par le faire, d'ailleurs. Il est soldat dans la British Army. Lieutenant, pour être précise. Cependant, c'est une saloperie de leucémie foudroyante qui vient d'avoir la peau de la personne merveilleuse et exceptionnelle qu'il était. Bien entendu, je suis loin d'être prête à assumer cela. Malgré l'évidence depuis son retour de Syrie il y a deux mois qu'il ne peut être sauvé, je pense sincèrement que l'on est jamais réellement préparé à perdre quelqu'un qu'on aime.

Et mon dieu que je l'aime. Putain qu'il est mon univers. Mon frère, mon amour, mon complice, celui ayant toujours été à mes côtés.

Pour être transparente, sachez que j'en crève intérieurement, souhaitant hurler ma douleur chaque seconde des minutes passant depuis que la nouvelle, insupportable, insurmontable, est tombée dans toute son intransigeance sans nous laisser l'ombre du moindre espoir. Celui de pouvoir profiter encore longtemps de l'indispensable soleil qu'il est dans nos vies. J'ignore encore qu'il est parti. Que c'est pour cette raison qu'il m'a poussée à aller travailler hier soir alors que je doutais, hésitant à rester à ses côtés. Il le savait que c'était la fin, préférant me le cacher.

Soyons d'accordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant