Les dix Mages

CHAPITRE 15

Le sujet des cours est rapidement écarté et nous nous occupons pendant le reste de la matinée en jouant à des jeux de société et en sortant un peu dans le jardin de l'académie car, par miracle, la météo anglaise a décidé de nous offrir quelques rayons ensoleillés que nous ne pouvions pas manquer.

Puis vient l'heure du déjeuner. Nous nous y rendons un peu plus tôt, n'ayant rien à faire. Lorsque nous arrivons à la cantine, elle est presque vide. Quelques pensionnaires déjeunent par-ci par-là. Ça fait bizarre de la voir comme ça, j'ai pris l'habitude de voir la cantine bondée de monde et bruyante. Là, à part quelques conversations en fond, c'est plutôt silencieux.

Nous prenons notre déjeuner au self puis nous nous avançons vers une table quand je remarque une silhouette familière tout au fond de la cantine, dans un coin isolé.

Mathéo !

J'en étais sûre, il mange quand il n'y a presque personne pour éviter la foule et être seul. Voilà pourquoi je ne le croise jamais à midi.

J'hésite un instant puis lance à mes amis :

- Asseyez-vous sans moi, je reviens.

Avant qu'ils aient pu répondre, je les laisse pour me diriger vers Mathéo. Il me tourne le dos, il ne me voit donc pas arriver. Je pose mon plateau en face de lui en lançant :

- Salut !

Je m'assois tandis qu'il lève des yeux surpris vers moi. Mais rapidement, la surprise laisse place à un visage stoïque qui laisse transparaître un léger énervement.

- Qu'est-ce que tu fais ?

Son ton dur me surprend un peu. Avec ce qu'il s'est passé ce matin, je pensais qu'il allait arrêter de me sortir le jeu du loup solitaire et qu'il laisserait enfin tomber le masque, au moins en ma présence. J'ai eu tort apparemment. Lui non plus n'est visiblement pas facile à amadouer.

- Ben, je m'assois, ça se voit non ?

- Pourquoi ne me laisses-tu pas tranquille ?

- Je ne vais pas rester, ne t'inquiète pas. Je voulais juste te saluer.

A ma grande surprise, Mathéo s'emporte :

- Mais putain, fous-moi la paix ! En dehors du gymnase, dedans, tout le temps... laisse-moi !

Je me retiens de reculer. Qu'est-ce qui lui prend tout d'un coup ?

- Pourquoi tu dis ça ? Ça s'est très bien passé ce matin, non ? Je veux juste t...

Mathéo frappe la table du poing, me faisant sursauter et me coupant net.

- Arrête ! fait-il d'une voix menaçante et glaciale. Arrête de faire comme-ci tu voulais m'aider. T'as simplement pitié de moi ! Tu me vois comme un chien abandonné et traumatisé qui a besoin qu'on l'aide ! Tu te dis : « oh, ce pauvre Mathéo, il est tout seul dans son coin. Je vais devenir son amie et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Non !

Déconcertée par sa réaction, je tente de me défendre :

- Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas pour ça que je veux t'aider ! Tu m'as aidée alors je veux juste te rendre la pareille.

Du coin de l'œil, je vois mes amis nous fixer avec un air inquiet, alertés par les cris. Mais ils n'interviennent pas, heureusement. Je ne veux pas que la situation s'envenime.

- Mais je t'ai aidée parce que j'y été obligé ! réplique Mathéo devant moi. C'est Eve qui me l'a demandé, je ne pouvais pas refuser ! Mais si j'avais pu, j'aurais préféré ne jamais faire ta connaissance. On n'est pas amis et on ne le sera jamais. Je suis là pour t'entraîner, point final. Je n'aurais jamais dû accepter de participer à ton expérience débile de ce matin !