CHAPITRE 34

762 70 14
                                    

Accroupie par terre, je fixe le sol immaculé. Je me sens vide.

A chacune de mes respirations, mes joues craquellent sous les larmes sèches, mes poumons me brûlent et ma gorge émet un bruit entre le grognement et le sifflement. Je n'ai plus de voix.

Dévastée, déchirée, brisée... c'est ce que je ressens, en plus d'un énorme néant dans mon cœur qui vient littéralement de subir les cinq phases du deuil, comme si je venais de perdre quelqu'un. A croire que c'est un avant-goût de la suite.

En effet, c'est d'abord le choc et le déni qui se sont emparés de moi. Il m'est impossible de croire à la véracité des évènements qui venaient d'avoir lieu. Mon oncle au courant du plan, Mathéo se révélant être l'espion, l'académie courant droit à sa perte par ma faute, mon impuissance, ma culpabilité... c'était trop pour être vrai.

Puis est venue la colère. Dévastatrice. Dans les premières secondes, j'ai rejeté toute la faute sur Allan et Mathéo, en tant qu'exutoire, avant de tourner cette responsabilité sur mes épaules. J'ai hurlé contre moi-même en frappant les murs pour finir par me recroqueviller sur moi-même avant de me casser une phalange. Quelqu'un devait payer cette injustice et je la rendais par mes propres moyens en me déchirant de l'intérieur.

Je crois être passée par une brève phase de ce qu'on appelle la « négociation » : croire pouvoir marchander l'irréversible. Je m'en suis d'abord voulu de ne pas avoir affronté mon oncle dès que j'ai appris qu'il savait pour mon plan, afin de l'arrêter. J'aurais pu lui tenir tête... mais ce revirement de situation et l'apparition de Mathéo m'ont décontenancée et m'ont vidée de toute raison, étant dans cette phase de choc et de déni. Je me suis ensuite dit que la situation pouvait encore s'arranger ; j'ai essayé de le faire, pathétiquement, de ma cellule blanche.

En me rappelant l'existence du radar accroché à mon ventre, je l'ai décollé et l'ai détruit en me disant que cela allait peut-être alerter l'académie et qu'Evelyn comprendrait que quelque chose cloche et annulerait la mission. Mais cette éventualité était si minime, si dérisoire, que la phase suivante m'a vite frappée de plein fouet.

La dépression et la douleur.

Amorphe contre mon mur, je me suis laissé souffrir en silence, me vidant de mes larmes. Ce n'était pas aussi douloureux que la crise de passage mais c'était une belle concurrence. La douleur émotionnelle peut être presque tout autant destructrice que la douleur physique.

Et finalement, me voilà dans l'acceptance. L'acceptance de mon impuissance, du destin funeste de l'académie. Ils allaient tous mourir et même si certains survivraient à la bataille, le clan adverse allait gagner et envahir la Terre pour imposer leur existence, indéniablement par la force et la violence.

Game over.

Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis qu'on m'a enfermée dans cette pièce blanche. Je ne sais donc pas dans combien de temps l'académie va arriver. Mais est-ce important ? Le savoir ne changera rien, je ne peux rien faire à part attendre qu'ils se fassent tous massacrer par ma faute.

Toute colère et haine m'ont quittée. Il ne reste qu'une immense tristesse et lassitude. Mes pensées sont comme éteintes, incapables de savoir à quoi penser. Il y a trop de choses sur lesquelles je pourrais déverser ma peine et ma souffrance.

Je pensais que j'avais changé, que l'académie m'avait changé... mais j'avais tort, comme tout le reste. Je suis toujours cette adolescente maladroite et mal dans sa peau qui traîne le carnage où qu'elle aille.

Je pensais pouvoir reconstruire ma vie, recommencer à zéro... mais tout n'est qu'un éternel recommencement. Des gens vont mourir par ma faute et moi, je serai la seule à vivre, portant sur mes épaules le poids des regrets et de la culpabilité. Parce que, ce dont je suis certaine, c'est que mon oncle ne me tuera pas. Pas parce que je fais partie de sa famille - à présent, j'ai compris qu'il se fiche bien des liens du sang - mais parce qu'il veut justement me voir souffrir. Un pur psychopathe.

Les dix MagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant