CHAPITRE 2

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Je regarde le paysage défiler devant mes yeux comme un film en accéléré. Cela fait à peine dix minutes que le taxi a quitté la magnifique ville de Londres et il n'y a déjà plus aucun signe de civilisation. Seuls les arbres et les sapins aux épines sombres autour nous tiennent compagnie. Je ne savais pas qu'on pouvait trouver une aussi grande forêt près d'une aussi grande ville. Nous n'avons même pas encore croisé de villages, comme si nous étions passés dans un monde parallèle et mystérieux, plongé dans une époque où les Hommes n'ont pas encore touché à la nature. Seule la route bétonnée m'assure que je suis bien dans la réalité.

Curieuse et ayant peur que le chauffeur se soit trompé de chemin, je me penche vers ce dernier et lui demande en anglais :

- Où sommes-nous ?

- En Angleterre, darling, me répond le chauffeur avec un accent si prononcé que j'ai eu du mal à le comprendre.

Je dois faire une tête bizarre dans le rétroviseur face à son humour douteux car il éclate de rire.

- Je plaisante. Nous sommes bientôt arrivés.

Cela ne répond pas non plus à ma question et me rassure à peine. Mais voyant que le chauffeur a l'air de savoir ce qu'il fait, je décide de me taire et reporte mon attention sur le paysage homogène et immuable. Mes pensées se tournent vers l'orphelinat malgré moi, mon départ étant tout récent.

Les adieux n'ont pas été déchirants. Mme Brown ne m'a pas dit un mot, ce qui ne m'a nullement étonné. Les autres responsables m'ont étreint poliment et la directrice m'a serré la main en me souhaitant encore une fois bonne chance. Il n'y a que les enfants qui m'ont montré un peu d'amour. J'ai bien cru qu'ils ne me lâcheraient jamais. Ils vont me manquer ces gamins, surtout Peter dont j'ai eu du mal à calmer ses pleurs. Je lui ai promis de revenir dès que je le pouvais et après l'avoir juré une bonne dizaine de fois, il a enfin arrêté de pleurer et m'a offert un dernier sourire.

Je suis ensuite montée dans le taxi qui m'attendait et j'ai pris le train. Cela faisait longtemps que je n'avais pas voyagé et me retrouver au milieu de tant de gens m'a hérissé le poil. La gare était bondée, c'était l'horreur. J'ai cru que j'allais faire une crise d'angoisse. Et mon cœur n'a pas arrêté de se serrer en voyant des familles avec leurs valises ou des groupes d'amis qui partaient en excursion. Moi aussi, si j'avais été normale, j'aurais pu vivre ce genre de moment de paix et de bonheur. Ce genre de moment normal, lambda, anodin.

Mais apparemment, ce n'est pas donné à tout le monde.

Le trajet vers l'Angleterre n'a pas été long. Comme d'habitude, je suis restée dans mon coin, les écouteurs dans les oreilles à écouter de la musique avec le volume à fond pour éviter d'entendre le bruit de la vie autour de moi et pour me vider la tête. Je n'ai pas eu le cœur à me torturer l'esprit de milliers de questions sur ce qui allait peut-être m'attendre dans cette mystérieuse académie qui accepte miraculeusement de m'accueillir, moi, une jeune fille paumée de dix-sept ans, source à problèmes, orpheline et dangereuse.

Après quelques heures de solitude appréciée et une lutte vaine contre mes pensées tiraillées, je suis enfin arrivée à Londres. J'ai rapidement trouvé le taxi - heureusement, car il y avait encore plus de foule dans la gare londonienne - et nous sommes enfin partis en direction de cette fameuse académie.

Me voilà à présent enfoncée dans le siège arrière du taxi, me rongeant l'ongle du pouce, stressée à l'idée de devoir fréquenter à nouveau d'autres personnes.

Je ne suis pas encore prête pour ça. Je ne l'ai jamais été.

* * *

Les dix MagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant