CHAPITRE 38

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Lucie et moi ne bougeons pas. Nous ne disons rien, nous n'esquissons aucun geste, comme si le temps s'était ralenti jusqu'à se statufier complètement. Même l'air semble avoir disparu, nous laissant sans voix et le souffle coupé.

Je regarde cet inconnu devant moi avec ahurissement et incompréhension. Il se prénomme... Damien Cooper ? Comme... mon père biologique ? Et... Lucie est donc bien ma sœur ?

Ça fait trop d'un coup. J'ai soudain l'impression que le bureau tourne autour de moi, semblant chavirer tel un bateau perdu dans une tempête au beau milieu de l'océan. Je fais un pas en arrière, le cœur au bord des lèvres.

- C'est impossible... c'est... c'est impossible...

Après un dernier regard mêlant peur et confusion, je tourne les talons et m'empresse de quitter le bureau de la directrice avant qu'on ne me retienne. Je suffoque, il faut que je sorte prendre l'air. Rapidement.

Les jambes flageolantes, je me dirige tant bien que mal vers le jardin. Je déboule à l'extérieur, le souffle court et les pensées en vrac. A mon grand soulagement, Mathéo est encore là ; il a rallumé une troisième cigarette qu'il s'empresse de jeter à terre en me voyant, sachant que je déteste l'odeur. Il me sourit mais fronce rapidement les sourcils en voyant mon visage paniqué.

Sans réfléchir, il accourt vers moi ; cependant, avant qu'il ait eu le temps me demander ce qu'il se passe, je m'agrippe à sa veste de toutes mes forces, manquant de peu de m'écrouler au sol. Je remarque seulement maintenant combien mes mains tremblent.

Mathéo pose délicatement une main sur le bas de mon dos et l'autre sur ma tête qu'il caresse d'un geste rassurant. J'appuie mon front contre son torse et ferme les yeux, m'abandonnant à sa présence réconfortante. Je tente de reprendre une respiration normale, calmant le tsunami de pensées qui se fracassent dans ma tête et la panique qui me prend à la gorge.

C'est trop. Je savais qu'il suffisait d'une nouvelle surprise pour que je me casse en deux pour de bon. Je ne suis pas loin de la folie avec tout ce qui me tombe dessus depuis plus d'une semaine, et particulièrement ces dernières heures. Je ne peux pas supporter autant. Une trahison, un combat, une mort et maintenant, ça ?

L'existence d'une probable sœur était déjà assez ébranlant comme ça, surtout que nous n'avions pas de preuve tangible et que nous devions déjà gérer autre chose de plus urgent qu'une histoire familiale. Nous n'avons donc pas eu le temps de nous pencher véritablement sur cette question, ce qui m'avait empêché d'y penser et de le prendre comme un coup de massue.

Mais là... pas un oncle. Pas une sœur. Un père. Un géniteur, un daron, un papa, un tout ce que vous voulez. Un parent.

Deux semaines auparavant, j'étais orpheline jusqu'au cou. Et voilà que je pourrais presque construire une famille. C'est incroyable... mais trop d'un coup.

Une fois que le monde autour de moi ne semble plus tourner, j'ose lever la tête vers Mathéo, moins tremblante.

- Ça va ? me demande-t-il d'une voix inquiète.

Je secoue la tête. J'aimerais répondre « oui » mais ce n'est pas vrai. Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout. Mais je n'ai pas le temps de lui donner des explications que la voix de Lucie retentit à nouveau derrière moi.

- Emma...

Je sais déjà ce qui va s'ensuivre alors je fais volte-face à contrecœur, me détachant de Mathéo. Comme je m'y attendais, notre soi-disant père est derrière elle, essayant de garder une certaine contenance. Mais il a l'air aussi confus et embarrassé que nous de cette situation.

Les dix MagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant