Chapitre 4

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Oui, Gabriel connaît. Et Caroline a raison : tout le monde connaît. La société actuelle s'intéresse plus aux marques de luxe qu'aux problèmes réels. La famille Dilor fascine donc tout le monde. Leur nom est évoqué partout, dans les médias, dans la rue... Sur les panneaux publicitaires : ils sont montrés comme la famille parfaite, conservatrice, carrée. Leurs cheveux sont taillés au millimètre et pas une poussière ne figure sur leurs costumes hors de prix. Les enfants sont tous blonds et portent une cravate. Ils sont tous « comme il faut ». D'ailleurs, c'est leur slogan. « Comme il faut ».

Après les cours de la matinée, Caroline demande à Gabriel s'il veut déjeuner avec eux. Il répond non et quitte précipitamment le lycée. Il saute dans un bus et se cache sous un siège pour que les contrôleurs ne le voient pas. Le garçon descend à un arrêt proche du mur, dans les quartiers Nord. Il est dans un des villages chics. Les gens ici sont bien habillés et dévisagent Gabriel d'un air hautain. Ce dernier les ignore et suit un sentier qui s'engouffre dans les bois. Là, il n'y a personne. Le calme est si apaisant. Le sentier monte en pente douce, puis en pente aiguë et s'arrête aux pieds de rochers qui s'empilent sur des dizaines de mètres. Gabriel se met à les escalader. Enfin, il arrive tout en haut. De là, il domine toute la Ville.

Il regarde en bas. La hauteur est vertigineuse. Combien de fois a-t-il songé à se jeter ? En finir une bonne fois pour toutes... A chaque fois, le visage creux de sa mère lui apparaît. Il ne peut pas la laisser. Elle ne le supporterait pas. Il jette un coup d'œil au loin et repère les bas quartiers. Il se demande si son père s'est levé, s'il a embrassé sa mère avant de disparaître pour la journée.

Le regard de Gabriel se perd ensuite de l'autre côté du mur. Il observe les somptueuses villas, les gigantesques palaces et les voitures de luxe circulant dans la rue. Il se demande à quoi ressemble une vie de l'autre côté, lorsqu'on n'a pas à prendre de douches glacées, lorsqu'on a des placards pleins et surtout, lorsqu'on n'a pas un père qui nous viole.


**


Stanislas Fenyx Dilor se réveille brusquement. Il a encore fait un cauchemar. Il a rêvé de sa femme. Enfin, de sa future femme. Celle qu'il doit épouser. Pour le groupe. Lui, du haut de ses vingt-deux ans, il est le plus jeune des fils Dilor. Ses trois frères aînés se sont tous déjà mariés avec des femmes choisies par leurs parents, pour le bien-être de la société. Ainsi, Charles-Aygle, trente-trois ans, Henry-Faukon, vingt-huit ans et Jean-François-Geais, vingt-cinq ans, sont tous les trois mariés à de riches héritières de grosses sociétés de luxe. Tout « comme il faut ». Le jeune homme a un sourire ironique et se lève de son lit géant.

Il se dirige vers sa salle de bain personnelle, située derrière une porte au fond de son immense chambre. La salle de bain comporte un jacuzzi, une énorme baignoire et un carré de douche au moins cinq fois plus grand que la norme. Fenyx enlève son pyjama représentant un groupe de hard rock (qu'il a acheté pour donner une crise cardiaque à sa mère) et jette un coup d'œil à son corps dans le miroir. Il est blond. Comme ses frères. Comme ses parents. Sa coupe de cheveux impeccable est révisée toutes les semaines par sa coiffeuse personnelle. Son corps est légèrement musclé. Il a tout le confort possible dans la vie. 

Et pourtant, ses yeux d'un bleu profond n'expriment rien. 

FenyxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant