Chapitre 36

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Arrivé à la gare des bas quartiers, l'héritier Dilor marche d'un pas ferme vers la cité crasseuse. Il traverse le tunnel et ses chaussures cirées se recouvrent instantanément de poussière et de saleté. Un rat mort empuantisse l'air et quelques lampadaires en ruine assurent un éclairage sinistre. Il marche ainsi jusqu'au bar le plus populaire de ces quartiers. Une musique lente s'en échappe, ainsi que des rires et un éclairage faiblard digne de ces hôpitaux psychiatriques dans les films d'horreur du vingtième siècle.

A la lueur du bar, il remarque deux silhouettes assises devant un immeuble sale à une centaine de mètres. En plissant les yeux, il distingue Gabriel, en compagnie d'une fille maigre.

Heureux d'enfin retrouver son ami, il se précipite vers eux.

- Gabriel ! crie-t-il.

Le jeune adolescent écarquille les yeux puis lève lentement la tête vers lui. Son regard n'exprime que de la colère. Fenyx s'arrête net. Quelque chose ne va pas. Mais il est pressé par le temps, il doit faire ce discours au bar maintenant car la fermeture doit être proche à cette heure tardive. Alors il lance simplement au jeune adolescent :

- Je serais à ce bar Gabriel ! J'aurais fini dans une petite demi-heure ! Passe et nous discuterons !

Fenyx galope ensuite vers le bar. Il pousse la porte. Les clients tournent la tête vers lui et le reconnaissent aussitôt. Ils se mettent à applaudir. Certains sifflent.

- Monsieur, c'est un honneur de vous accueillir dans mon modeste bar, siffle le propriétaire derrière le comptoir.

- Moi j'lève mon verre pour m'sieur l'Out Suprême ! clame un client.

Il est vite imité par tous les autres clients dans un joyeux vacarme. Aucun d'eux n'a oublié la première visite de Fenyx et son discours. Personne ne sait que c'est un Dilor, mais tous savent que c'est lui leur bienfaiteur qui a lancé la rébellion.

Il s'apprête à prendre la parole lorsqu'on le coupe et qu'il se retrouve enseveli sous les questions. Il répond aux uns que non, ça ne va pas s'arrêter là, aux autres que oui, il ira avec eux jusqu'au bout. Il serre les mains par-ci, sourit par là. Impossible d'en placer une. Lorsqu'il pense pouvoir enfin s'exprimer, le patron surgit, tenant une femme par le bras.

- Cadeau pour l'Out Suprême !

Fenyx comprend immédiatement qu'il s'agit d'une prostituée. Elle est maigre et semble sur le point de tomber dans les pommes. Il s'apprête à réagir mais n'en a pas l'occasion car les clients se mettent à siffler. Ils donnent des bourrades à un homme attablé, ayant l'air d'un ivrogne.

- Belle pouliche ta femme, James ! lui dirent-ils.

Le dénommé James rigole bruyamment, avale tout le contenu de sa chope et la fait claquer sur la table pour en réclamer une autre.

- Allez Salomé ! crie-t-il. Va donc remercier l'Out Suprême comme il se doit, bon sang !

Là encore, Fenyx veut protester, mais le patron le traîne avec Salomé à l'étage supérieur du bar. Il les pousse dans une chambre et ferme la porte. Ses pas s'éloignent. Les rires des clients se font lointains.

La femme lui semble étrangement familière. Elle s'assoit sur le lit miteux et commence à se déshabiller en tremblant. Elle paraît plus faible que jamais.

- Que fais-tu ?! lui demande Fenyx.

Elle semble très surprise, mais ne lève pas le regard vers lui.

- Je me déshabille, dit-elle d'une voix égarée.

Fenyx soupire.

- Ça ne sera pas nécessaire. On m'a traîné dans cette chambre sans que je puisse en placer une.

Pour la première fois, Salomé le regarde dans les yeux. Fenyx y voit une telle détresse qu'il sent une vague de colère l'électriser.

- Tu n'es comme personne que je connais, dit-elle. Fenyx...

Le jeune homme sursaute à l'évocation de son nom.

- Comment connais-tu mon nom ? Les autres savent uniquement que je suis l'Out Suprême.

Salomé le fixe toujours. Son regard est à présent indéchiffrable.

- Mon fils unique Gabriel n'arrête pas de me parler de toi. On s'est même disputé à ton sujet pas plus tard qu'hier.

Fenyx hausse un sourcil. C'est peut-être pour ça qu'il avait l'air en colère tout à l'heure.

- Et que lui as-tu dit ?

- Que tu étais sûrement un délinquant et que tu n'allais lui attirer que des ennuis.

FenyxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant