Fenyx

Chapitre 63

Une fois de plus, les larmes coulent sur les joues de Fenyx. L'horrible sentiment de culpabilité qu'il porte depuis si longtemps ressurgit de nouveau. Mais sa vengeance est proche, ses parents paieraient pour tout...

Fenyx s'affale sur son lit géant. Son regard se tourne instinctivement vers la fenêtre d'où il aperçoit au loin la fameuse tour où il a jadis été si heureux. Toute de fer forgée, elle se dresse dans le ciel. Il lui manque la tige, mais reste sans aucun doute majestueuse.

Demain, Fenyx sera devant l'autel avec quelqu'un d'autre. Quelle que soit l'issue de ce plan suicidaire, tout sera fini demain. Après cette pensée, il s'endort instantanément.

Le brouhaha qui agite le manoir Dilor le lendemain tire Fenyx du sommeil de bonne heure. Les serviteurs passent un à un dans sa chambre pour le préparer. On lui fait prendre un bain en frottant chaque centimètre de sa peau, on le rase au millimètre. Les meilleurs coiffeurs de la Ville se succèdent pour lui couper les cheveux. On fait venir les stylistes les plus réputés, les cireurs de chaussures les plus assidus. Ses ongles sont taillés, ses sourcils harmonisés au poil près.

Lorsqu'il se découvre dans la glace, il ne reconnaît plus le Fenyx aventureux et révolutionnaire qui est devenu l'ami des Galeux, mais le grand et éblouissant Stanislas Dilor, l'héritier de la plus grosse compagnie de luxe de la Ville. Son costume argenté brille de mille feux, sa chemise est tellement étincelante de propreté que même le carrelage blanc crié trois fois la veille paraît terne. Ses chaussures en cuir sont tellement lustrées qu'elles agissent comme un miroir.

Les deux servantes, qui sont en train d'ajuster le col de sa chemise, le complimentent de toutes parts. Fenyx, lui, ne pense qu'à cette soirée passée devant la télé avec Salomé et Gabriel dans l'appartement miteux des bas quartiers.

Quand il est prêt, Fenyx quitte sa chambre escorté des deux servantes. Il descend les marches. Le manoir est bondé. La famille Dilor est au grand complet et Fenyx aperçoit ses frères et leurs épouses. Ils lui font un signe de tête approbateur. Les amis des Dilor sont eux aussi présents. Chacun fait un compliment à Fenyx en le croisant. Ce-dernier répond un « merci » machinalement, sans regarder leur visage.

- Tu es très chic, dit une voix de garçon un peu sarcastique.

- Merci, répond Fenyx en s'apprêtant à passer son chemin.

Puis il se rend compte que c'est Gabriel. Lui et Mia sont habillés de costumes blancs très élégants. Ils semblent hilares.

- Vous vous rendez compte qu'on est tous les trois habillés pour plus de mille euros – au moins dix mille pour Fenyx – dans un manoir aristocrate et qu'on va faire foirer le mariage du siècle ? s'exclame Mia.

Gabriel éclate de rire. Fenyx lui-même a du mal à y croire. Il aperçoit ses parents au loin, en pleine discussion animée.

- Il faut que j'y aille, dit Fenyx. Restez concentrés sur nos objectifs surtout.

Il s'avance au milieu de la foule, serrant des mains, adressant des saluts polis. Enfin, il rejoint ses parents.

- Stanislas ! s'exclame hystériquement sa mère. Tu es sublime ! Ce mariage va être le plus réussi de tous les temps. Tout le monde va en parler dans les dix ans à venir ! Et attends un peu de voir la soirée qu'on a préparée ! Carole va en être verte de jalousie !

Le jeune Dilor s'efforce de sourire et de faire semblant que le plus grand objectif de sa vie est de rendre Carole verte de jalousie.

- Y aura-t-il des journalistes ? s'enquiert-il d'une voix innocente.

- Bien sûr Stanislas ! glousse sa mère. Ils seront des dizaines et des dizaines ! Tout le monde veut suivre en direct LE mariage !

Souriant poliment, Fenyx s'éloigne retrouver Gabriel et Mia. En effet, personne ne va l'oublier ce mariage.