Chapitre 34

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L'horloge murale indique onze heures. « Gabriel a du retard », songe Fenyx. Il croise les jambes au-dessus de sa table basse, s'enfonçant dans son confortable fauteuil. A la télévision, un présentateur de BourgeoisFM-TV parle avec émotion derrière la caméra. Aux dernières nouvelles, d'autres personnes ont réalisé des délits un peu partout dans la Ville.

- A cause des deux « Out Suprême », l'équilibre de la Ville semble menacé, dit sombrement l'envoyé spécial. L'influence qu'ils exercent s'étend tel un fléau et de plus en plus de délits ont été commis. Nous pensons que les auteurs de telles violences ne peuvent que provenir des bas quartiers. Ce matin, une animalerie a été braquée par un groupe de cinq enfants, à en juger par leur taille. (Il passe le micro à un témoin).

- C'est exact, dit le propriétaire de l'animalerie, cinq enfants monstrueux avec des sacs poubelles sur la tête en guise de cagoule. Ils étaient pieds nus, ça ne peut être que des gosses crasseux des bas quartiers. Ils ont lancé des morceaux de viande avariée partout dans l'animalerie et les animaux sont devenus fous. Ça a été une cacophonie du diable [...]

Fenyx se lève de son fauteuil. Il attrape un feutre et trace une croix de plus dans son calendrier. Il ne lui reste à présent plus qu'une semaine avant le mariage, prévu le vingt novembre. Il repense avec horreur à la figure poudrée de sa promise et refoule une envie de vomir. En tout cas, sa révolution est en marche. L'étincelle qu'il a allumée dans le cœur des gens des bas quartiers s'est embrasée et enflamme peu à peu leur volonté de changement. Mais est-ce suffisant ? Tous leurs actes restent jusque-là très soft et le délit le plus osé qu'ils aient commis était d'asperger d'eau le vendeur d'une bijouterie. Cependant, hors de question pour Fenyx de sombrer dans la violence. Mais pour avoir le changement, il faut fournir de plus gros efforts. Maintenant que tout le monde est au courant du début de rébellion, il est temps de passer à la phase B.

L'héritier Dilor farfouille dans la commode à la recherche de ses carnets contenant ses plans d'attaque. Il raye tout ce qui concernait la phase A : pousser au déni du out. Cette étape est un franc succès. Les bourgeois sont terrorisés, les Galeux (nom commun des habitants des bas quartiers) prennent du poil de la bête et sont déterminés à faire bouger les choses. Il est maintenant temps de passer aux choses sérieuses. La phase B consiste en un électrochoc. Et c'est Fenyx lui-même qui va le provoquer. Mais d'abord, il doit tenir une nouvelle réunion avec les Galeux.

Le son de la télévision coupe soudain le fil de ses pensées. La voix du présentateur du journal s'élève :

- [...] nous avons le plaisir d'accueillir sur ce plateau la chef du gouvernement, Mme Dilor. Elle est venue pour donner son point de vue sur ces actes de rébellion...

- Vous appelez ça une rébellion ? coupe la mère de Fenyx avec dédain. Ce sont des actes témoignant d'une profonde et irrévocable stupidité. Les Galeux cherchent par tous les moyens à se trouver une place dans la société, pour oublier les conditions de vie misérables dans lesquelles ils se sont eux-mêmes mis. Chacun récolte la monnaie de sa pièce et Galeux un jour, Galeux toujours. Rien de ce qu'ils pourront bien faire ne leur donnera de légitimité.

- Est-ce que le gouvernement va prendre des mesures ? demande le journaliste.

- Nous avons tenu une réunion la veille pour décider de ce que nous allons faire, explique Mme Dilor. Certains d'entre nous, dont moi, pensons qu'il faut construire un second mur pour séparer les bas quartiers des quartiers bourgeois. Et en attendant que ce soit fait, nous avons ouvert un centre pour préparer les forces de police à gérer de telles situations de chaos.

- Y aura-t-il des châtiments ?

La chef du gouvernement tourne la tête vers la caméra. Fenyx regarde sa mère droit dans les yeux. Elle parle distinctement, d'une voix qui se veut menaçante :

- Tous ceux mêlés de quelque façon que ce soit aux actes de délinquance, pourraient se voir définitivement exclus de la Ville.

Étant donné que le monde est à présent séparé en plusieurs communautés indépendantes qui n'ont aucun contact les unes avec les autres, être exclu de la Ville signifie aller vers l'inconnu. Et pour les habitants de la Ville, l'inconnu est synonyme de mort. Bien que légèrement inquiet quant à la tenue de sa rébellion malgré cette menace, Fenyx reste confiant. Sa mère lui a facilité le travail avec ses propos haineux. Les habitants des bas quartiers ne peuvent qu'être d'avantage remontés contre le gouvernement. Il faut à présent maintenir le brasier en place.

Le jeune homme a absolument besoin de Gabriel pour la seconde partie de son plan. Où est donc passé le garçon ?

FenyxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant