Fenyx

Chapitre 35

Lorsque la nuit commence à tomber, Fenyx se dit que Gabriel a dû avoir un empêchement. Une pensée trotte dans sa tête, qu'il essaye de chasser : il s'est peut-être fait attraper par le gouvernement.

« Non impossible, pas aussi vite... », songe le jeune homme.

Le lendemain, la journée s'annonce ennuyeuse. Toujours aucune trace de Gabriel. Fenyx décide de se balader un peu. Il s'habille en hâte, revêt sa perruque brune et sort dans le quartier ouest. Il va selon le bon désir de ses pieds, tentant d'ignorer les passants inquiets qui regardent toutes les cinq secondes derrière eux. Il finit par se laisser tomber sur un banc public. Les minutes défilent, les passants inquiets se multiplient, la rue se remplit.

- Mon garçon ! siffle une voix.

Fenyx n'y fait pas attention, plongé dans ses pensées. Il sent soudain un pommeau de canne tapoter son épaule. Il tourne la tête. Un vieux bourgeois édenté lui fait signe de se lever et de le suivre. S'ennuyant à mourir, le jeune homme s'exécute, légèrement perplexe. Le bourgeois l'emmène dans un restaurant nommé « Kalimor ».

- Mon garçon, ça t'dirait d'donner un coup d'main ? demande le vieux bougre. C'mon restaurant et plus aucun serveur n'veut bosser. Z'ont trop peur.

Quelques vieux clients attablés sont en train de patienter en jouant aux dominos. Avant même que Fenyx ne réponde, il se retrouve affublé d'un tablier, d'un carnet et d'un crayon. Haussant les épaules, il se dirige vers une des tables pour prendre la commande des trois seniors qui l'occupent.

- Ma femme ne parle plus que de ça, dit un homme avec une casquette rouge. Elle tient une bijouterie et panique dès qu'elle entend un chat.

Fenyx toussote pour signaler sa présence. Ils tournent la tête vers lui.

- Enfin un travailleur courageux, dit celui avec la casquette rouge.

- Bravo jeune homme, enchérit son voisin, il ne faut pas se laisser envahir par la peur.

Le jeune Dilor trouve l'ironie de la situation très amusante, prend leur commande et leur demande :

- Et vous, que pensez-vous de ces... « fauteurs de troubles » ?

- Un scandale.

- Sûrement des chiens galeux des bas quartiers.

- Ils n'ont rien de mieux à faire de leur vie, alors ils essaient d'attirer l'attention.

Le vieil homme assis à l'autre bout de la table lève la main pour les faire taire, il s'exprime alors d'une voix grave :

- Foutaises ! Je pense au contraire que les instigateurs du mouvement sont loin d'être idiots. Je pense même qu'ils ont énormément réfléchi au pourquoi du comment.

Il se tait, tous les clients du restaurant tournent la tête vers lui. Il boit une gorgée de son verre, avale lentement et reprend d'une voix rauque :

- Mais je pense surtout que ces personnes ont commencé quelque chose qu'elles ne pourront pas contrôler et qui les dépasse.

Fenyx serre un peu trop son carnet de commande. Les yeux du vieux se posent sur lui et semblent pénétrer ses pensées.

- On ne se serait pas déjà vu mon garçon ?

Le jeune Dilor bredouille un non et file en cuisine apporter les commandes. Que veut donc dire ce vieil homme ? Fenyx a-t-il commencé quelque chose de trop grand pour lui ? A-t-il été égoïste en ne pensant qu'à son propre bonheur ?

Ruminant de sombres pensées, il assure le service jusqu'à la fermeture du restaurant. Après que le propriétaire l'ait remercié et payé, l'héritier Dilor quitte les lieux. Il fait à présent nuit noire.

Les paroles du vieux client lui trottent encore dans la tête. Il décide alors de se rendre dans les bas quartiers pour donner un nouveau discours. Ceci afin que tout le monde soit d'accord sur les objectifs communs.

Cette résolution en tête, Fenyx saute dans un bus et prépare mentalement un discours pendant toute la durée du trajet. S'adossant contre la vitre, il se dit qu'il doit absolument retrouver Gabriel. Cet adolescent est non seulement primordial pour la suite de son plan mais c'est également devenu un ami auquel Fenyx tient. Il s'en voudrait qu'il lui soit arrivé malheur à cause de lui.