Fenyx

Chapitre 46

 Fenyx se lève de bonne heure le lendemain. Hier soir, il a ramené les deux adolescents chez eux à une heure avancée. Ils ont tout planifié jusqu'aux moindres détails. Le jeune Dilor se rend dans la salle de bain et observe sa figure ensommeillée dans le miroir. Sa barbe a poussé, ses cheveux sont en broussailles. Au manoir, un employé venait lui tailler sa pilosité au millimètre tous les trois jours. Pourtant, Fenyx n'a jamais autant aimé son apparence. Il aime ce côté sauvage, un peu négligé, qui lui donne l'air normal. Un homme comme un autre, libre de sa destinée.

Il se douche, s'habille. Il soigne sa tenue sans pour autant paraître extravagant. Il a un rendez-vous plutôt important ce matin. Après un café bu à la hâte, le jeune homme saute dans sa voiture et démarre.

Il roule ainsi jusqu'aux quartiers sud. Quittant la route principale, il s'engage dans un petit sentier tortueux de campagne. Conduisant entre les terrains agricoles, loin de toute civilisation, Fenyx se détend un peu. Il regarde régulièrement son rétroviseur : personne ne le suit. Il se gare devant une ferme qui semble abandonnée. Il descend de sa voiture. Quelques poules viennent l'accueillir. Le jeune Dilor s'assoit sur un pneu crevé et patiente.

Au bout de quelques minutes, il aperçoit une silhouette qui avance vers lui. C'est un homme tenant une mallette à bout de bras. Fenyx lui serre la main et demande :

- Tout s'est bien passé ?

- Oui, acquiesce l'homme. J'ai ce que vous m'avez demandé.

Il s'accroupit et ouvre sa mallette. Il en sort plusieurs documents qu'il présente à Fenyx. Ce dernier les récupère et les feuillette. Il s'agit de faux actes de naissance pour Gabriel et Mia. Il peut y lire :

"Gabriel Vincent, né le 12 septembre 2198 à l'hôpital Falcony, quartiers Est, fils des dénommés James Vincent et Salomé Novs exerçant la fonction de joailliers."

En dessous il y a les fausses coordonnées des parents ainsi que leur contribution dans la Ville. Le faux acte de naissance de Mia est à peu près similaire, il y est inscrit que ses parents travaillent dans une bijouterie et qu'ils sont tous les trois nés dans les quartiers ouest. Satisfait, Fenyx paye l'homme, range les papiers dans la mallette et jette le tout dans sa voiture. Il démarre sans plus tarder et quitte les quartiers sud.

Il file jusqu'aux bas quartiers, où il a rendez-vous avec un Galeux. Il se gare près d'une déchetterie. Il patiente adossé contre le siège de sa voiture et croque dans un sandwich qu'il a amené avec lui. Il fait frais, le temps est couvert. Fenxy se dit qu'il va sûrement pleuvoir dans l'après-midi. A peine a-t-il cette pensée que des gouttes commencent à tomber. Elles s'écrasent contre le toit de sa voiture en rompant le silence des lieux. Machinalement, le jeune Dilor vérifie que la batterie de sa voiture est assez chargée pour se passer du soleil. Bien sûr, l'engin possède également des panneaux produisant de l'électricité uniquement à partir de lumière, mais comme le temps s'est assombri d'un coup, il doute qu'ils soient très performants.

Avalant son sandwich bouchée par bouchée, il se perd dans ses pensées en regardant à travers le pare-brise. Comme la vie aurait été belle s'il n'avait pas été Stanislas Dilor. Il aurait vécu avec la personne qu'il aime, il aurait été libre...

Le Galeux arrive. Il court pour échapper à la pluie et entre dans la voiture de Fenyx, s'asseyant sur le siège passager.

- B'jour m'sieur, dit-il d'une voix rauque.

Il ne doit pas avoir plus de quinze ans.

- Tu as ce que je t'ai demandé ? l'interroge Fenyx.

- Oui m'sieur !

Il semble assez impressionné de se retrouver à côté de l'« Out Suprême ». Et visiblement très honoré de participer à la révolution. Il donne son sac à Fenyx qui l'ouvre et observe avec satisfaction son contenu.

- Assez pour un beau feu d'artifice ? demande-t-il.

- Le plus grandiose possible m'sieur !

Fenyx lui sourit et jette le sac à l'arrière de la voiture. Il s'enquiert :

- Alors Martin, quelles sont les nouvelles du jour ?

- Ils ont fait un nouveau braquage m'sieur ! répond le garçon d'une voix surexcitée. Y avait Fred, Damien, les jumelles Cleo et Sabrina et même m'sieur Sylvain.

- Super ! Qu'ont-ils fait exactement ?

- Ils ont cassé un restaurant m'sieur ! Le Kalimor m'sieur !

Le sourire de Fenyx disparaît. C'est le restaurant où il a travaillé une journée comme serveur.

- Cassé dis-tu ?

- Oui m'sieur, ils sont partis avec des pelles et des cailloux m'sieur !

Fenyx n'a jamais souhaité en venir à la violence. Les paroles du vieux client lui reviennent soudainement en tête : « je pense surtout que ces personnes ont commencé quelque chose qu'elles ne pourront pas contrôler et qui les dépasse ». Et si c'était vrai ? S'il ne contrôlait rien ? Après tout, la rage des Galeux est si grande... si explosive. Des dizaines d'années de rancune, d'injustice, quel effet cela aura-t-il ?

- Tu sais s'il y a eu d'autres casses ? demande-t-il à Martin.

- Oui m'sieur ! Y en a eu m'sieur ! Des enfants sont allés casser les fenêtres des maisons bourgeoises m'sieur ! Et puis y a eu un employé de banque assommé, quelques voitures brûlées. Ce genre de choses ! A part le quartier sud, tous les autres quartiers ont été touchés ! Même le nord ! Tu t'rends compte m'sieur ! J'aurais jamais cru qu'ils oseraient s'approcher du mur !