Fenyx

Chapitre 56

Le lendemain, Gabriel et Mia partent de bonne heure. Fenyx traîne, seul, devant son café du matin, songeur. Le programme de la journée est chargé. Le jeune homme est encore un peu faible, mais se sent d'attaque. Il prend une douche rapide et décide de raser sa barbe qui a beaucoup poussé pendant son séjour à l'hôpital. Il a maigri et ses cheveux sont plus longs et ébouriffés. Mais d'une certaine manière, il semble humain ainsi. Il n'a plus rien d'un aristocrate.

Une fois habillé et sa perruque noire enfilée, il sort de la maison et s'engouffre dans sa voiture. Cette fois, il vérifie que la batterie est chargée à fond. Après avoir mis en route les panneaux solaires, il démarre.

Malgré le temps suffoquant, il ouvre la fenêtre. Le vent brûlant lui fouette le visage alors qu'il s'engage sur la grande route qui traverse les quartiers sud. L'hiver sera là bientôt. Les feuilles mortes multicolores tombent paisiblement des arbres pour venir s'écraser sur le sol humide. Ayant frôlé la mort, Fenyx s'émerveille de tout ce qu'il voit, de tout ce qu'il ressent. Il passe en conduite automatique et en profite pour observer le paysage qui défile rapidement.

D'ici une semaine, plus rien ne sera pareil et il veut profiter de cette vue paisible pendant qu'il en est encore temps, en graver chaque détail dans sa mémoire.

La voiture arrive à la lisière des bas quartiers, Fenyx reprend le contrôle manuel et se gare devant une petite ferme abandonnée. Il descend de la voiture. Un intense sentiment de nostalgie s'empare de lui lorsqu'il observe la vieille porte d'entrée mangée aux mites. C'est ici que Son Amour vivait. Ici même qu'ils se sont rencontrés. Fenyx était alors lycéen et s'était retrouvé ici suite à une sortie scolaire. Il avait faussé compagnie au groupe et s'était baladé des heures durant, jusqu'à se retrouver dans cette ferme. Les parents l'avaient accueilli sans savoir qu'il était un riche héritier et c'est là que Son Amour est apparu. Lui offrant du pain et de l'eau. Ils ont longuement discuté, bien après que ses parents soient allés se coucher. Jamais Fenyx ne s'était senti si vivant, si humain. Le lendemain, la Ville tout entière s'était mobilisée pour le retrouver. L'alerte générale avait été donnée. Mais Fenyx, lui, regardait le ciel en compagnie de la personne qui lui offrirait tant de bonheur et qui emprisonnerait son cœur dans une prison de chaînes. Bien sûr, le jeune Dilor fût vite retrouvé, au soulagement général. Les fermiers apprirent donc l'identité de celui qu'ils avaient hébergé. Quand il fût rentré au manoir, le jeune Fenyx se précipita sur une feuille de papier pour griffonner une lettre à destination de l'Unique. C'était ainsi que leur histoire avait débuté.

- Et c'est ainsi qu'elle s'achève, murmure Fenyx en observant un long moment la ferme inhabitée depuis de longues années maintenant.

L'Unique lui a confié vouloir connaître les secrets de l'océan, sans se douter finir sur le bateau de l'exil. Où pouvait être Son Amour en ce moment ? Sous l'eau ou bien... peut-être que son bateau a accosté sur une terre où habite un autre peuple. Peut-être d'autres français, peut-être des américains ou des chinois. Nul ne connaît exactement la carte du nouveau monde. Un espoir perdure silencieusement dans la poitrine de Fenyx. Il s'y est toujours accroché.

Il reste planté là de longues minutes, puis des heures, comme s'il s'attendait à voir l'Unique surgir derrière la porte pour lui annoncer que tout ça n'était qu'un cauchemar. Il se décide enfin à partir, se rappelant les grosses responsabilités qui pèsent sur ses épaules.

De nouveau dans sa voiture, il démarre et roule en direction des bas quartiers. Il se gare dans une ruelle crasseuse et sort de la voiture. Les quelques passants édentés qu'il croise le regardent avec un air d'émerveillement. Ils le saluent et l'escortent.