Chapitre 42

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Il avait alors douze ans. Après une nuit particulièrement traumatisante avec James, le jeune garçon qu'il était s'échappa de l'appartement à l'aube. A cette époque, la vitre de la porte de l'immeuble n'était pas encore brisée. Il tremblait, il était fatigué, il avait faim, il était mort de honte. Il avait déjà songé plusieurs fois au suicide, mais à chaque fois l'image de sa pauvre mère squelettique et remplie de tristesse envahissait son esprit et l'empêchait de passer à l'acte. Il marcha dans les rues crasseuses, jusqu'à ce qui semblait être une déchetterie. Il s'assit sous une table en bois qui n'avait que trois pattes, rongée par les rats. Il pleurait. Il resta une heure ainsi, seul, prisonnier de ses pensées. Lorsque tout à coup :

- Gabriel ?

La voix était aiguë, faible. Elle prononçait son nom comme un murmure. Le cœur du garçon avait fait un bond dans sa poitrine. Il était amoureux de cette voix. L'entendre apaisait ses maux. Il ne se retourna pas, sachant pertinemment à qui elle appartenait.

- Va-t'en, dit-il en essayant de contrôler sa voix.

Il ne voulait pas qu'elle le voie pleurer. Mais la petite fille ne s'en alla pas. Elle rentra avec lui sous la vieille table et resta silencieuse, fixant un rat. Il était fin, marron, avec des petits yeux rouges.

- Il est mignon, dit Mia en tendant la main pour l'attraper.

Elle serra l'animal contre son cœur. Gabriel savait que son amie aimait tous les animaux, mais ce rat était absolument repoussant. La bestiole chatouillait son cou de ses moustaches et Mia se mit à rire. Elle aurait pu être très belle avec quelques kilos en plus et des habits propres. Mais Gabriel l'aimait ainsi. Il l'avait aimée dès leur première rencontre deux ans auparavant.

- Je vais l'appeler... Louis-Philipe-Apollinaire.

Gabriel rit à son tour. Elle avait le don de choisir des noms très étranges pour ses animaux. Mia le fixa de ses grands yeux. Elle savait qu'il était triste. Elle l'avait toujours su mais ne le disait jamais. Gabriel la regarda à son tour. La peau fine de ses joues était entaillée. Lui aussi savait qu'elle souffrait. Que son père la battait. Mais lui non plus ne disait rien. C'était une règle entre eux : ne jamais parler de leurs malheurs.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? demanda Gabriel.

- Et si on trouvait une femme pour LPA ?

- C'est qui LPA ?

- Bah Louis-Philipe-Apollinaire !

Elle tenait toujours le rat, qui semblait heureux de son sort, dormant paisiblement.

- D'accord ! dit Gabriel.

Tous deux sortirent de sous la table et se mirent à arpenter la déchetterie en quête de nouveaux rats. Le garçon en trouva deux mais c'étaient des mâles. Mia cherchait de son côté et d'un coup elle s'écria qu'elle avait trouvé. Elle tendit la femelle à Gabriel :

- Tiens garde-la ! On va leur trouver une maison maintenant !

La rate que tenait Gabriel était noire avec des reflets argentés. Elle semblait se plaire dans ses bras. Les deux enfants décidèrent que les animaux allaient loger au cœur d'un vieux pneu. Ils installèrent en son centre un vieux torchon rapiécé et placèrent « l'habitation » sous la vieille table, au cas où il pleuvrait.

Ils mirent les deux rats dedans et les regardèrent se renifler en rigolant.

- Je crois qu'ils sont amoureux ! s'exclama Mia.

Gabriel aurait aimé lui dire que lui aussi il était amoureux d'elle mais une boule dans sa gorge l'empêcha de dire quoi que ce soit. Il se contenta de rougir en fixant ses pieds. Ils commençaient à réfléchir à un nom pour la femelle lorsqu'une voix grave résonna dans la décharge.

- Mia où es-tu passé petite peste ?!

Un homme s'avançait vers eux à grands pas. C'était le père de la petite fille. Il semblait très en colère. Mia se mit à trembler contre Gabriel. Celui-ci sentit une rage s'emparer de lui. L'homme s'approcha d'eux et attrapa sa fille par le bras d'un geste brusque. Celle-ci se mit à se tortiller, à protester qu'il lui faisait mal mais il n'écouta rien. Il était tellement en colère qu'il sembla prêt à la frapper. Ne réfléchissant plus, Gabriel donna un coup de pied dans les tibias de l'homme en hurlant de la lâcher. Celui-ci frémit et regarda le garçon avec des yeux méchants. Il le poussa et Gabriel tomba par terre.

- Ne te mêle pas de ça Gabriel ! Ton père sera prévenu.

Impuissant et terrifié à cette idée, le garçon resta par terre et ne bougea plus alors que cet homme emmenait son amie loin de lui.

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