Chapitre 20

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Je ne trouvais pas le sommeil, à chaque fois que mes yeux se fermaient, je voyais Spencer et Jarod dans leur cellule. Je voyais le visage crispé de douleur de Vivi la dernière fois que je l'avais vu. Je voyais également ma famille, ma mère et le pli soucieux sur son front le jour où je lui avais révélé mon don, mon père, mes frères, ma sœur... ma famille... je les avais abandonnés sans un mot à l'époque, je leur avais laissé une lettre dans laquelle j'expliquais la situation, que pour les protéger de Vareck, je devais fuir, qu'ils devaient déménager et que jamais je ne devais savoir où ils se trouvaient. C'était un adieu. Un adieu déchirant, plein d'amour, de larmes et de projets brisés. J'avais choisi de m'enfuir parce que je savais que si je leur avais expliqué la situation en face, jamais ils ne m'auraient laissé partir, et je sais que jamais je n'aurais eu le courage de les abandonner.

            J'avais pleuré toute la soirée. Mon visage et mes yeux étaient gonflés, et j'avais mal au crâne.

            Pensaient-ils encore à moi ? M'en voulaient-ils ? M'avaient-ils cru morte ? Depuis le bal, ils étaient certains que non, le monde entier m'avait vu au côté de Vareck. Qu'avaient-ils pensé ? Eux qui savaient que je l'avais fui ? Mes parents devaient être terrifiés pour moi, et se sentir tellement impuissants.

            L'envie de les revoir n'avait jamais été aussi forte qu'en cet instant. J'avais 25 ans, pourtant, je n'avais qu'une seule envie, prendre ma mère dans mes bras, lui demander pardon, et lui dire que plus jamais je ne les quitterai, que je n'aurais jamais dû fuir. Que nous aurions dû affronter tout ça ensemble.

            C'était stupide, je le savais, aucun membre de ma famille n'était Vessoryia. Si j'étais restée, Vareck et ses Faucheurs seraient venus chez moi. Je me serai battue, mais j'aurais fini par perdre face Vareck. Ils m'auraient arraché aux miens, et ces derniers auraient essayé de m'aider avec leur force humaine, et ils auraient échoué eux aussi. Ils seraient morts, ou blessés. Je n'avais pas pu prendre ce risque. Ils comptaient trop pour moi. Sans eux, sans eux je n'avais plus aucune raison de me battre et de vivre.

            Et il avait Jarod, Spencer et Vivi. Je ne les avais pas laissés m'approcher d'assez près pour que nous devenions liés bien au-delà de la camaraderie. Pourtant, malgré le fossé que mon mensonge avait irrémédiablement creusé entre nous, je les considérais comme mes amis. Mes seuls amis. Les premières personnes de mon existence que je pouvais réellement qualifier ainsi. Beaucoup de gens traversaient nos vies, et parfois nous pensions qu'ils y resteraient pour toujours. En les rencontrant, j'avais compris que, mis à part Théa, je n'avais jamais eu de véritables amis avant.

            Nous avions frôlé la mort ensemble, nous avions rêvé d'un autre monde, espéré des jours meilleurs. Chacun de nous portait une histoire différente, mais chacun de nos pas nous avait conduits à la Résistance, et au-delà de ça, à nous faire nous rencontrer. Je me souvenais encore bien de ma rencontre avec Jarod, j'étais alors une jeune femme qui venait de quitter précipitamment sa famille, qui était traquée par l'être le plus puissant de tous les temps, et qui ne savait plus où était sa place. Lui avait déjà voué sa vie à la Résistance. Il m'avait raconté qu'il avait vu la flamme ardente dans mes yeux, la combativité dans l'inclinaison de ma tête, et la bonté dans le plus soucieux de mes lèvres. Jarod était un poète. Et c'était bien sa sensibilité qui lui avait permis de me voir.

            Faute de pouvoir travailler, à l'époque, je volais. Disons plutôt, que par un simple regard et quelques paroles, j'arrivais à insuffler assez de mon pouvoir sans trop s'attirer l'attention des Faucheurs pour convaincre les gens de me donner de l'argent ou de me payer de quoi manger. Je me débrouillais pour me retrouver dans de grandes villes, dans des lieux bondés. Pour parfaire mon camouflage, j'avais alors teint mes cheveux en blonds et les portais court. J'avais tellement de peur que Vareck que j'aurais été prête à me raser le crâne et me couper des doigts.

L'Ombre d'Alyia - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant