Chapitre 49

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            Je décochai un dernier sourire carnassier à Dana avant de m'adosser tranquillement contre ma chaise.

-Comment ça s'est passé, Alyia ? me demanda-t-il.

Vareck était adossé contre le mur en face de moi. Les bras croisés, ses yeux bleus étaient rivés sur moi.

Je soupirai et relevai la tête, osant enfin croiser un à un le regard de tous les Faucheurs. La froideur que je lus dans leurs yeux était dévastatrice.

-Ça s'est bien passé. Je crois, du moins. Ils étaient d'abord très sceptiques, ça leur semblait absolument impossible que je puisse vous échapper – doux euphémisme au passage. Apparemment, leur entrevue avec Valion a fini par les convaincre. Ils pensent visiblement qu'il te haï assez pour vouloir te trahir, dis-je en regardant Vareck. À ta place, je m'inquiéterais.

-Continue.

-Je m'en suis tenue à ce qu'on avait dit, continuai-je. Ils m'ont posé des questions, mais ne m'ont pas plus laissé voir le fond de leur pensée. À la fin, ils nous ont fait venir ensemble, Valion et moi, pour nous dire qu'il acceptait ma demande ; celle de travailler pour eux.

Comment étaient-ils ? demanda alors Esther. Les Eryadins ?

-Calmes, maitrisés, puissants. (Je haussai les épaules.) Mais je ne vous apprends rien.

-Raconte-nous en détail ton entrevue avec eux, m'enjoignit Vareck.

Je m'exécutai. Le vrai et le faux se mêlaient habilement sur ma langue, laissant une histoire plausible se déverser. Ils écoutaient tout ce que je disais avec attention, mais je voyais bien qu'aucune lueur de suspicion ne brillait dans leurs yeux, ils ne me croyaient pas assez audacieuse ou folle pour les trahir de la sorte. Seulement, ils oubliaient que la fille qu'ils avaient connue avait grandi et changé. Il était cependant difficile de ne pas penser à toutes ces paires d'yeux focalisés sur moi, ces esprits affutés et vieux de plusieurs siècles probablement pour certains. Ceux qui me brulaient le plus étaient ceux de Vareck.

Après qu'ils m'aient chacun posé quelques questions, je fis clairement transparaitre mon ennui. Je m'avachis sur ma chaise et balançai ma tête en arrière en soupirant :

-C'est bon ? l'interrogatoire est terminé ?

-Tu es vraiment devenue une sacrée peste, Alyia, commenta simplement Nilaja, presque sans haine.

-J'ai eu les meilleurs maitres, ma chérie, lui dis-je en lui faisant un clin d'œil.

-Et encore, ajouta Dana à l'attention de Nilaja, tu n'as encore rien vu. Là elle se contient.

-Elle a raison, lâchai-je.

-Parfois je me dis qu'on aurait vraiment dû la vendre à Darius, renchérit Dana comme si je n'étais pas là, on aurait même pu l'avoir à un bon prix.

Tibérius et Hérihor ricanèrent.

-Il n'est pas trop tard, rétorquai-je, je préférais encore travailleur pour lui que pour vous. Je dirais même que je préférais coucher avec lui que m'entretenir une seconde de plus avec vous.

Un silence pesant s'ensuivit.

-Quoi ? les interpellai-je en me levant. La vérité vous blesse, peut-être ?

La colère se mit à se répandre dans mes veines tel un feu incandescent. Si j'avais été dans cette situation il y a quelques années, en pleine possession de mes pouvoirs que je ne parvenais pas encore à maitriser, j'aurais certainement mis le feu à la cuisine.

-J'ai passé des années à vous fuir, continuai-je, à essayer d'oublier, d'oublier que vous aviez voulu me tuer, que vous m'avez menti sur vos intentions et vos agissements. Pendant les années où j'ai été parmi vous, vous étiez en train d'assassiner des dirigeants, des généraux, des hommes et des femmes un peu partout dans le monde, humain, et Vessoryias afin de préparer le terrain pour votre putain de coup d'État, que vous prépariez surement déjà depuis des décennies. Vous m'avez dit œuvrer pour le bien des Vessoryias, du monde, vous vous êtes foutu de moi pendant trois ans. Puis vous m'avez traqué des années durant comme une bête, et maintenant vous menacez la vie de ceux que j'aime, de ma famille, des véritables amis que j'ai réussi à me faire. Et vous vous étonnez que je me comporte comme une garce avec vous ?

Je hurlai à présent. Les Faucheurs et Vareck se contentaient de me dévisager, le visage fermé, grave et inflexible.

Ce fut celui dont je m'attendais le moins à une intervention qui fit calmement :

-Nous n'avons aucun compte à te rendre, Alyia Senestra.

J'avais beaucoup apprécié Torii, son calme et sa réserve avaient été un havre de paix lorsque je n'arrivais pas à calmer la tempête d'émotions qui couvaient en moi à l'époque.

-Parfait, et moi je ne vous dois rien non plus. (Je me tournai vers Vareck, il m'observait, nullement perturbé par mon coup d'éclat.) Je jouerai votre jeu, me plierai à vos règles stupides, mais ne me demandez pas de redevenir votre petit toutou plein de reconnaissance.

Je sortis de la cuisine sans un mot de plus.

-Tu seras toujours une des nôtres, Alyia, quand bien même tu souhaites l'oublier, murmura simplement Vareck lorsque je passai devant lui.

L'Ombre d'Alyia - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant