Chapitre 37

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Trois jours passèrent avant que je revoie Vareck. Trois jours au cours desquels je ne vis aucun Faucheur mis à part Esther. Nous n'avions plus échangé le moindre mot depuis notre dernière discussion, dans ma chambre, et je n'étais pas allée lui demander comment cela se faisait qu'il n'y avait qu'elle au Refuge. D'un côté, c'était tant mieux, je n'étais pas prête à les revoir, cette confrontation serait bien trop couteuse pour moi. Discuter avec Esther avait déjà été assez éprouvant. 

         J'avais occupé ces trois jours à m'entrainer. Esther n'avait fait aucune remarque lorsque je m'étais rendue au bord du lac, devant le Refuge, pour m'entrainer, même si me doutais que tous ces sens avaient dû être tournés vers moi, si par je ne savais quelle folie j'avais décidé d'essayer de m'enfuir. Du lever du jour au coucher du soleil, j'avais enchainé entrainement physique et maniement des armes. Sans mes dons, je peinais à effectuer des enchainements et efforts qui m'avaient paru, jadis, d'une simplicité enfantine. De rage, il m'était arrivé de pleurer sur la perte de cette connexion avec mon être et tout ce qui m'entourait, cette connexion qui me rendait plus forte, plus endurante, plus courageuse peut-être...

         Le matin du quatrième jour, je n'avais pas réussi à me lever aux aurores tant mon corps me faisait souffrir. Courbatures et blessures me lançaient constamment. Avant, j'aurais pu puiser dans mon environnement pour soulager ma douleur, guérir mes blessures. Tout ce qui nous entourait était rempli de force, d'énergie pure, pour quelque n comme moi, pour un Vessoryais, c'état comme un appel, une offrande, de l'énergie à profusion qu'il nous suffisait de puiser et d'utiliser. Plus un Vessoryia était puissant, plus il pouvait puiser d'énergie, c'était comme si le quota d'énergie que son corps était en mesure de puiser augmentait.  Pour tout Vessoryia, il y avait également des limites à ne pas dépasser, pour ne pas se tuer ni mettre en danger notre environnement proche. Pour quelqu'un possédant mon pouvoir, la force et l'énergie qui m'était accessible, que mon corps pouvait supporter était immense. Seul Vareck pouvait utiliser plus d'énergie que moi sans se mettre en danger. Une poussière, vous disais-je, une simple poussière. Mais dans cette poussière, se trouvait une énergie phénoménale.  De toute façon, en l'état actuel, j'étais une simple humaine, coupée de l'univers, enfermé dans mon corps, un corps bien trop faible pour faire les prouesses dont j'étais capable auparavant.

         Mon don ne s'était véritablement manifesté dans toute sa splendeur qu'à mes 18-19 ans, auparavant, il y avait eu des signes, que je pouvais interpréter maintenant comme l'étincelle de mon pouvoir. Enfant, j'avais eu cette sensibilité exacerbée qui m'avait parfois handicapé, cette empathie extrême qui me faisait ressentir profondément les émotions des autres. Partager la douleur, les joies, les peines et déceptions des autres étaient un fardeau. À l'époque, on me disait que j'étais une petite fille sensible, comme d'autres. Vareck m'avait expliqué que c'était une manifestation de mes dons, je puisais déjà à l'époque l'énergie qui m'entourait, à commencer par celle qui émanait des autres : leur émotion. Les émotions étaient les forces et émanations les plus faciles à capter, d'autant plus que leur intensité augmentait. Surement que les autres êtres humains qui avaient foulé la Terre et qui avaient possédé cette extrême sensibilité » avaient eux aussi été Vessoryias. En tout cas, c'était aujourd'hui un des meilleurs moyens pour repérer les petits Vessoryias. Même si dans mon cas, il y avait eu d'autres indices bien plus singuliers...

         -Le Seigneur Vareck te demande, appela soudain Esther au travers de la porte.  Il t'attend dans son bureau. Maintenant.

         Je sortis de ma torpeur. Les rayons du soleil vinrent éclairer mon visage fatigué. Je laissai échapper un gémissement de douleur. J'avais oublié à quel point les courbatures pouvaient faire mal.

         Je me préparai lentement, machinalement jusqu'à ce que je me rende compte que mes mains tremblaient. J'avais peur. Je pris une profonde inspiration. Que craignais-je ? Vareck ? Ce qu'il allait me raconter ? Je ne maitrisais rien de cette entrevue et cela m'angoissait terriblement.

         Une fois prête, je me dirigeai d'un pas lourd vers le bureau de Vareck, dans l'aile est du Refuge. Je ne pris même pas la peine d'avaler quoi que ce soit, cela aurait été inutile, mon ventre était noué par l'appréhension.

         Esther ne prit même pas la peine de m'y conduire, elle savait très bien que j'avais pris ce chemin un nombre incalculable de fois. Je fus surprise d'entendre lorsque des éclats de voix se firent entendre. Vareck n'était pas seul ?

         Lorsque mes pas me guidèrent jusqu'au seuil de la porte fermée, les voix se turent. Ils savaient que j'étais là. Je sentis l'aura de Vareck, même le peu de pouvoir qu'il me restait était suffisant pour sentir sa présence.

         Avant que je puisse frapper, la porte s'ouvrit sur Vareck. Comme à l'accoutumée, il était vêtu d'une tunique noire d'un autre temps, ses yeux étincelants se posèrent sur moi, impassibles. Il détailla méticuleusement l'ensemble de ma personne, je savais qu'il pouvait voir les cernes sous mes yeux, mon visage épuisé, et la façon un peu tendue de me tenir qui indiquait que mes muscles me faisaient souffrir. Les menottes Vessoryia, ces abominations qui m'empêchaient d'être, me consumaient peu à peu.

Je soutins son regard sans ciller. Qu'il regarde ma déchéance, qu'il regarde ce dont il était l'investigateur.

         -Alyia, dit-il en guise de salut avant d'ouvrir grand la porte.

        Je connaissais chaque centimètre de cet endroit. La cheminée ultra moderne au fond de la pièce, les canapés blancs disposés autour, et le grand bureau de Vareck en bois clair sur le côté opposé. Sobre et lumineux.

Je ne pris pas la peine de voir si les lieux avaient changé, mes yeux cherchèrent automatiquement la présence d'autres personnes. Je faillis lâcher un cri de surprise.

         -Alyia Senestra, quel plaisir de vous voir, roucoula la voix mélodieuse de Valion.

L'Ombre d'Alyia - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant