Esther était telle que dans mon souvenir. De petite taille, menue et musclée, elle marchait avec une grâce que je n'avais jamais réussi à égaler et que je n'égalerai probablement jamais. Ses longs cheveux lisses étaient un ruisseau noir qui coulait jusqu'à ses reins, sa peau dorée était comme un baiser que le soleil aurait déposé sur son corps, et ses yeux, un éclat de soleil incandescent. Son visage fin, mais empreint d'une dureté était beau. Je me souvenais du moindre détail de son visage. De l'arc noir de ses sourcils, à la petite bosse sur son nez, à sa bouche pulpeuse. Esther était belle, plus belle que toutes les femmes que j'avais pu voir au cours de mon existence.
Elle portait encore sa tenue de Faucheuse drapée d'or, son visage était dépourvu de son masque noir. Je ne l'avais plus vu sans son masque depuis plus de 5 ans.
Malgré moi, je fus bouleversée de la voir à nouveau ainsi.
Esther était la chef des Faucheurs, la plus puissante et la plus sage de tous les six.
Si j'avais considéré Dana et Nilaja comme des sœurs, Esther faisait plus figure de mère intransigeante.
Les yeux d'or d'Esther quittèrent mon visage pour se poser sur Vareck. Elle inclina légèrement la tête à son attention.
-Vareck.
-Esther.
Leurs deux voix, dures et froides, possédaient une inflexion que je n'avais entendue chez personne d'autre.
Le regard de la jeune femme se posa à nouveau sur moi. Elle me jaugea calmement, avant de reprendre :
-Le Seigneur Vareck dit vrai. Oui, lorsque nous avons senti ton existence et la puissance de ton pouvoir, nous avions pour volonté de te tuer pour éviter que tu deviennes une menace. Oui, lorsque le Seigneur Vareck est parti te retrouver, le soir de votre rencontre, c'était pour te tuer. Mais lorsqu'il est revenu... Il nous a expliqué t'avoir laissé la vie sauve. Il a jugé que tu étais celle qui nous fallait, celle qui nous manquait. Nous l'avons cru. Nous t'avons accueilli, même si certains d'entre nous avaient des ... réticences. Tu as gagné notre confiance et notre affection, Alyia. Notre erreur aura été de croire que c'était réciproque.
Je faillis me justifier face à cette accusation, avant de me rétracter. Je ne leur devais rien.
-Pourquoi devrais-je te croire, Esther ?
Le regard méprisant qu'elle me lança m'aurait tétanisé su place il y a quelques années.
-Crois-moi, petite fille, je préférais te dire que nous avions l'intention de te tuer et que nous attendions simplement le moment où tu flancherais. J'aimerais que tu te sentes trahi comme nous nous sommes sentis trahis.
Je secouai la tête.
-Je ne vous ai pas trahi, tout simplement parce que j'ai intégré vos rangs sans savoir vos intentions initiales, envers moi et envers le monde. Vous m'avez caché vos actions et vos projets. Je ne peux pas trahir quelque chose dont je n'ai pas accepté de prendre part.
À ces mots, Esther sourit, l'air féroce, avant de couler un regard à Vareck à côté de moi.
-Tu oses me la ramener, mon ami. Pourquoi ? demanda-t-elle à Vareck.
Personne ne parlait à Vareck de cette manière. Avant, cela ne m'aurait pas choqué. Mais depuis que Vareck contrôlait le monde et que nous nous étions mis à tous le craindre, voir les Faucheurs lui parler si amicalement avait quelque chose d'étrange.
-Dana l'a aidé, elle et trois de ses... amis à fuir le complexe militaire, expliqua Vareck.
Esther fronça les sourcils, mais ne dit rien.
-J'ai besoin que vous vous relayer pour la surveiller, compléta-t-il. D'elle-même et d'eux.
Cette fois, les yeux d'Esther s'étrécirent.
-Ah... les choses se précisent ?demanda-t-elle en me regardant étrangement.
-Oui. Tant que nous ne savons pas, nous devons redoubler de vigilance.
-De quoi parlez-vous ? C'est qui « eux » ? demandai-je.
Vareck lança un regard à Esther qui hocha la tête. Elle rentra dans le Refuge sans rien ajouter.
-Alyia, commença Vareck d'une voix lente. Tu nous reproches, tu me reproches de t'avoir caché certaines choses lors de ses trois années. Je ne le nie pas. Mais je veux que tu me rejoignes à nouveau. Et je sais que tu ne me fais plus confiance, c'est pour ça que je vais être transparent et honnête avec toi. Il y a ... des choses que tu dois savoir.
-Vous m'avez vraiment laissée complètement ignorante, n'est-ce pas ? fis-je avec amertume.
-Hélas, oui.
-Et quand m'auriez-vous raconté tous ces petits secrets ?
-Au fur et à mesure du temps, quand je t'aurais jugé prête.
Je ricanai.
-Et c'est le cas ?
Son visage s'assombrit.
-Non. Mais nous n'avons plus le choix. Tu es en danger, je te l'ai dit. Tu as toujours été en danger. Et crois-moi, le Refuge est l'endroit le plus sécuritaire pour toi.
Je sentis le sang quitter mon visage.
-Je ne comprends pas.
-Ce n'est pas seulement pour te faire payer ton départ ou pour t'avoir à nouveau à mes côtés que je t'ai cherché pendant toutes ces années, mais parce que tu étais en danger.
-Qu'est-ce que tu racontes...
-Je reviendrai bientôt, je te le promets. Et je t'expliquerai tout. Avant, je dois régler quelques affaires.
-Elles me concernent ?
Cette fois, Vareck sourit. Un vrai sourire, plein de chaleur.
-Tout te concerne, Alyia, dit-il d'une voix très douce.
Je baissai les yeux, fuyant son regard.
-Lorsque je reviendrai, il n'y aura pas que moi qui devrai des explications, ajouta-t-il. Toi aussi, Alyia, tu devras tout me dire. Les personnes que tu as rencontré ces derniers, tout. Si tu veux que nous te protégions, ta famille et toi, nous aurons besoin de toutes les informations possibles.
-Mais je ne sais même pas qui me veut du mal !
-La Résistance, Alyia. La Résistance.
Et il disparut, me laissant seule avec cette bombe.
Je restai quelques minutes pantelantes, sans réagir. Puis les mots se firent un chemin dans mon esprit. Je me mis alors à rire de manière hystérique. En quelques minutes, Vareck avait réussi à inverser la donne : ce n'était plus lui et les Faucheurs mes ennemis, qui cherchaient à menacer ma famille et ma vie, c'était la Résistance. Ce n'était pas eux les méchants qui asservissaient le monde, oh non, au contraire, ils voulaient me protéger.
Les mots de Valion me revinrent en mémoire :
« Ne le laissez pas vous convaincre. Des centaines et milliers d'hommes et de femmes bien plus sages que vous ont succombé à son influence au cours des siècles. Faites-ce que bon vous semble, mais lorsque le moment viendra, garder toute votre lucidité pour le trahir et réduire tous ces plans à néant. »
« Vous êtes une des rares personnes ayant foulé cette planète qui leur a résisté, à lui avoir résisté »
Non, je ne me ferai pas avoir.
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L'Ombre d'Alyia - Tome 1
ParanormalDans un monde divisé entre humains et Vessoryia - des êtres possédant des pouvoirs exceptionnels -, Alyia est une ombre. Entrée en résistance depuis la prise de pouvoir des Vessoryia sur la planète entière, et l'oppression qu'ils causent, elle se c...