L'Ombre d'Alyia - Tome 1

Chapitre 56

// Avertissement. Contenu sensible (violences et abus sexuels) //

Point de vue : à découvrir...

Il y a bien bien longtemps...

            La jeune fille essayait de ne pas penser à ce qu'il était en train de se passer en ce moment même à seulement quelques kilomètres du village. Ses doigts engourdis par l'eau glacée continuaient de frotter les tissus sales. Elle ne réfléchissait même plus, elle travaillait machinalement. Elle frottait, frottait, comme si ce geste pouvait empêcher son esprit de retourner vers l'endroit où son cœur se trouvait. Elle s'imaginait que si elle continuait ainsi, elle arriverait probablement à trouer le tissu. Elle fit une brève pause, repoussant sa longue natte blonde qui avait glissé de son épaule et baignait à présent dans la rivière. Elle examina quelques secondes en silence le bout de ses cheveux humides. Des larmes lui picotèrent les yeux, mais elle les chassa avant même qu'elle n'arrive. Rien n'était fait, la chance pouvait encore tourner en leur faveur, après tout. Maman disait qu'il fallait garder espoir, alors la jeune fille garderait espoir.

            Mais la chance était capricieuse, elle aurait dû le savoir. Lorsque les premiers cris et lamentations percèrent le silence, elle crut que son cœur allait lâcher. Sans réfléchir, elle bondit sur ses pieds, abandonna le linge et se précipita vers son village.  Sa robe l'empêchait de se mouvoir avec autant d'agilité qu'elle le souhaitait, elle s'en était souvent plainte, mais en cet instant, elle n'y prêta pas attention.

            Lorsqu'elle arriva sur la petite place de son village, les quelques cinquantaines de petites filles, jeunes femmes, femmes et leur bébé, ainsi que les vieillardes étaient déjà toutes réunies. Elle comprit que tout était perdu lorsqu'elle examina les premiers visages et regards. Certaines femmes avaient la main posée devant leur bouche, comme pour empêcher un hurlement de s'en échapper. D'autres encore étaient déjà à genoux, des larmes chaudes coulant sur leurs joues. Des femmes tenaient leurs enfants serrées contre elles. Tandis que certaines étaient plus maitres de leurs émotions. Mais toutes, toutes arboraient un regard hanté, terrifié, abattu.

            La jeune fille se faufila dans la petite foule jusqu'à trouver le centre de convergence de toute cette attention. Un jeune homme ensanglanté, à bout de souffle, discutait avec la femme du chef de village – sa mère. Cette dernière se tenait bien droite, ses longs cheveux soigneusement nattés et rassemblés autour de son crâne. Ses yeux gris et l'ensemble de son visage sévère restaient dignes.

Elle hochait la tête, la mâchoire serrée, les trais devenant de plus en dur à mesure que l'homme parlait.

            Quelqu'un lui prit le bras. Elle se tourna et croisa deux yeux verts encadrés de cheveux d'un roux vif. Son amie, Liah.

            -Ils ont perdu, lui souffla-t-elle.

            À ces mots, son corps se glaça. Lorsque son père, son frère et l'ensemble des hommes en âges de se battre avaient quitté le village à l'aube pour combattre la tribu rivale qui menaçait leur territoire, la jeune fille avait encore espoir. Son père était un guerrier aguerri, un chef sage et respecté, et bien que les conflits avec la tribu voisine dataient d'il y a des années déjà, elle avait véritablement pensé que tout se prendrait fin aujourd'hui. Qu'ils gagneraient, qu'ils pourraient enfin vivre en paix.

            Elle ne pouvait s'empêcher de revoir son père, ses yeux bleus de la même nuance que les siens, et son dernier sourire pour elle.

            -Fuir, murmura le jeune soldat. Vous devez fuir, sans plus tarder. Ils ne tarderont pas à venir ici, et mettre tout à feux et à sang.