Chapitre 7 (1/2)

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     Cela faisait quelques heures à présent que la Sirène avait quitté Ysméria et voguait à présent en direction de notre première escale. Et bien que l'excitation générale ce soit quelque peu calmé, il y en avait une qui n'avait pas arrêté de courir.

     – Maman, je peux l'attacher ? Elle m'agace.

     Je jetai un regard à Esther à nos côtés. Assise au pied du bastingage, elle fusillait du regard sa jumelle qui s'agitait inutilement depuis une bonne heure maintenant. Et son agacement n'avait fait que grandir.

     Si au départ, Esther avait paru aussi excitée que Rowan, cette dernière s'était assez rapidement calmée après que la Sirène ait dépassé la phare d'Acali. Mais sa jumelle, hyperactive, n'avait pas su s'arrêter et continuait de courir dans tous les sens, bousculant quelques passagers, trébuchant souvent sur des cordages abandonnés. Mais à chaque fois, elle s'excusait, se redressait et repartait au pas de course comme si de rien n'était.

     – Je ne crois pas que l'attacher serve à grand-chose, soupira maman à nos côtés. Tu voudrais l'entendre crier comme la dernière fois ?

     Pour toute réponse, ma sœur grimaça.

     À quand remontait la dernière fois qu'Esther avait tenté d'immobiliser Rowan en la ligotant ? Trois ans, peut-être quatre ? La seule chose dont je me souvenais de cet évènement avait été le cri strident que ma petite sœur avait poussé. Elle avait crié si fort qu'occupée à couper les boutures d'un rosier au fin fond de notre serre, je l'avais entendu. Nos parents s'étaient bien sûr précipités pour voir ce qu'il se passait et avaient trouvé les jumelles en pleure. L'une parce qu'elle s'était retrouvée ligotée à une chaise qu'elle avait fini par faire tomber en remuant pour s'en libérer, l'autre suppliant qu'elle se taise, roulée en boule par terre les mains plaquées sur les oreilles.

     Ce jour-là, nous avions bien cru qu'Esther allait perdre l'ouïe tant elle s'était plainte d'acouphènes. Les médecins eux-mêmes avaient dit qu'elle avait eu beaucoup de chance.

     Bien sûr, les jumelles avaient été punies, mais ça n'empêcha pas Esther de rêver de recommencer dès que Rowan devenait un peu trop turbulente.

     Esther se retourna soudain vers maman, le regard brillant.

     – On pourrait la bâillonner cette fois ! proposa-t-elle avec espoir.

     Mais maman fronça les sourcils comme un avertissement et Esther se rembrunit.

     Au même instant à l'autre bout du pont, Rowan trouva le moyen de s'étaler par terre de tout son long. Les passagers cessèrent aussitôt tout activité, leur attention tournée sur la jeune fille étendue inerte sur le plancher. Mêmes les marins, occupés au-dessus de nos têtes dans les haubans, tournèrent des regards aussi curieux que soucieux sur la scène.

     Esther soupira.

     – J'y vais...

     Et elle retrouva sa jumelle, non sans grogner dans sa barbe des mots qui, heureusement pour elle, furent prononcé si bas qu'Acanthe ne les entendit.

     J'eus un rire en la voyant annoncer à tout le monde qu'il n'y avait pas à s'inquiéter avant d'aider sa jumelle à se relever. Rowan se redressa, puis éclata de rire alors qu'Esther lui passait un savon. Et tout le monde se désintéressa aussitôt des adolescentes.

     Je ne parvenais pas à comprendre comment deux êtres qui se ressemblaient autant physiquement et étant né sous l'égide du même dieu pouvaient être aussi différente que ces deux-là. Elles étaient comme le jour et la nuit. Rowan était solaire, toujours agitée et enjouée, un peu immature et turbulente là où Esther était plus calme et mesurée, presque froide parfois, et étonnement mature pour son âge.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant