Chapitre 13

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     – Meredith ? m'appela doucement une voix. Tu es réveillée ?

     Je me frottai péniblement les yeux et me redressai. Dans la cabine il faisait étrangement sombre. Esther s'avança, son carnet toujours en main.

     – Ton sommeil n'est toujours pas reposant ? demanda-t-elle en s'asseyant au bord du lit.

     Je secouai la tête. Non, hélas, toujours pas et sûrement même jamais. Mais ça, je ne lui dis pas.

     – Qu'as-tu vu cette fois ? questionna-t-elle en ouvrant son carnet.

     J'eus un petit rire en la voyant faire. J'avais l'impression de voir notre médecin. Depuis qu'Esther était au courant de mes nuits volatiles, elle éprouvait une curiosité presque effrayante pour mes voyages, me demandant souvent ce que j'avais vu avant de le retranscrire dans ses notes. Au fond, je crois qu'elle essayait de m'aider, de comprendre ce mystère qui gâchait mes nuits depuis si longtemps. Mais même avec toutes ses analyses, ses croquis et ces détails, ma sœur ne trouvait aucune logique à mes voyages. C'était comme si ma conscience se perdait à l'instant même où je fermais les yeux pour m'endormir, tout simplement.

     Je plongeai dans ma mémoire, rassemblant les bribes de souvenirs éparpillés. Au réveil, les images de ma nuit me revenaient comme éclater. Refaire ces puzzles mentaux m'était difficile au début. Mais plus le temps passait et plus il me paraissait facile d'en rassembler les morceaux.

     Et quand je me souvins enfin, un sourire mutin vint étirer mes lèvres.

     – Rowan qui jouait les ouistitis sur le beaupré, finis-je par répondre.

     Esther soupira en secouant la tête, dépitée.

     – Cette andouille... Tu as vu comme elle a failli tomber ? Elle est complètement inconsciente.

     – Et toi un peu trop, m'amusai-je en lui tapotant le front de mon index. Vous faites la paire.

     Ma sœur m'offrit une grimace, pas convaincue pour un sou.

     – Tu te souviens quand elle a essayé de s'envoler en sautant des remparts avec ce simple drap ?

     Nous en eûmes des frissons.

     – J'ai bien cru qu'elle allait se rompre le cou, avouai-je alors que les images de sa chute me revenaient.

     Il y eut un silence.

     – Le pire, c'est qu'elle a presque réussi.

     – Juste avant de sombrer dans l'eau de la rivière.

     Nouveau silence. Esther et moi nous regardâmes avant d'éclater de rire.

     Jamais je ne pourrais oublier l'instant où Rowan s'était élancée dans le vide. Une seconde terrifiante qui nous hanta longtemps. La ville tout entière avait assisté à la scène et le Maire en avait frôlé la crise cardiaque. Le comble s'il en était, c'était que ce saut qui aurait pu lui coûter la vie n'était que le fruit d'une histoire de gamin. Une stupide histoire de gamin.

     L'un des camarades de classe des jumelles leur avait lancé un défi. Et si Esther avait eu la sagesse de refuser et d'ignorer les hués, Rowan, elle, avait foncé tête baissée.

      Quand elle avait sauté, tout le monde avait retenu son souffle. Ma sœur n'avait pas bien calculé son atterrissage et nous étions tous persuadés qu'elle allait s'écraser sur le bitume. Puis il y eut ce courant d'air miraculeux et Rowan dévia de sa funeste trajectoire pour atterrir dans la rivière. Plus que les exclamations de joie ou de soulagement, ce fut la colère de nos parents qui avait retentit le plus fort.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant